La défaite de la rébellion au Sud-Kivu: Une victoire de la Coalition Chisambo-Masunzu passée inaperçue

La Province du Sud-Kivu est connue pour avoir abrité les mouvements rebelles à l’Est de la République Démocratique du Congo (RDC) depuis les années d’après indépendance. La rébellion Muleliste Simba aurait opéré au Sud-Kivu jusqu’aux années 80. L’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération Congo/Zaïre (AFDL) en 1996 et le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) en 1998, rebellions qui ont embrasé la grande partie du territoire congolais, semblent avoir aussi lancé leurs premières attaques à partir dans ladite région. La province est connue aussi pour avoir abrité des poches de résistance contre les rebellions; mais aussi des groupes armés étrangers et des milices communautaires, qui de fois, s’entredéchirent et s’affrontent autour des raisons explicitement appelées « la protection de notre communauté ». Des raisons subversives qui amènent certaines de ces milices de s’en prendre à la population civile au point de se faire accuser des tueries sous la couverture des raisons évoquées comme justifiant leur existence.

La province du Sud-Kivu est habitée par plusieurs communautés ethniques dont notamment celle de Bashi et Banyamulenge. Ces deux communautés habitent la partie orientale de la RDC ayant une frontière avec le Rwanda et le Burundi. Les migrations africaines dans les temps anciens peuvent amener à croire que certains membres  de ces communautés frontaliers  ont des mêmes origines par hasard qui se sont faites différemment dans le temps(1). Ces deux communautés sont aussi connues pour avoir joué un rôle déterminant au sein de différents mouvements rebelles ces dernières années. Il sied de souligner qu’à part l’AFDL et le RCD, quelques personnalités de la communauté Bashi et Banyamulenge ont fait partie du Conseil National pour la Défense du Peuple (CNDP) où particulièrement le Bashi apparait dans la branche politique et quelques commandant militaires Banyamulenge. Le récent épisode des rebellions a vu Bertrand Bisimwa(2) de la communauté Bashi comme chef politique du mouvement du 23 mars (M23). Une particularité dans cet épisode des rebellions, il y a eu certains cadres politiques Banyamulenge qui ont rejoint le M23 après l’affaire dite de Bagayamukwe(3). Toutefois, il est remarquable qu’au sein du M23, il n’y a pas eu des commandants militaires Banyamulenge bien connus.

Toutefois, parmi ces mouvements rebelles cités-haut, seul l’AFDL est celui qui a pu contrôler une grande partie des zones rurales dans le Sud-Kivu par rapport à d’autres mouvements ou milices. Il me semble aussi qu’il a pu rapprocher des vues différentes autour d’une même cause. Le reste des mouvements n’ont fait que semblant d’avoir occupé cette province alors qu’en réalité c’était le contraire. Mis à part les milices, le RCD a occupé cette province pendant au moins 5 ans; mais il était basé surtout dans les grands centres. Le CNDP a pu occuper la ville de Bukavu pendant une semaine (du 2 au 9 juin 2004) et a fini par lâcher sous la pression populaire et de la communauté internationale. La récente vague des mutineries qui ont donné naissance au M23 a aussi vu le jour au Sud-Kivu, vers la zone de Fizi. Plusieurs tentatives d’enliser le Sud-Kivu de la part des fomentateurs n’ont pu aboutir alors que le commandant militaire du M23 ait été en poste à Bukavu depuis 2009 jusqu’en Avril 2012.

Cet article retrace certains événements qui expliquent cette victoire qui est passée inaperçue dans une province potentiellement reconnue pour les faits insurrectionnels. Elle est une victoire sous le label de Marcellin Chisambo et Patrice Masunzu qui sont issus de la communauté Bashi et Banyamulenge respectivement. Le premier est le gouverneur de la Province alors que le second est le commandant militaire de cette région.

Bref, la suite des événements qui ont conduit à cette victoire :

ü  Tout au début de la campagne de l’AFDL certaines failles et contradictions se font remarquer  par rapport aux objectifs attendus: la mise en l’écart de certains cadres des partis politiques qui composaient l’alliance et se voient exclus du cercle de prise de décision et le monopole grandissant autour du porte-parole de l’alliance ;

ü   Début octobre 1996 : La disparition du Commandant Nicolas Kibinda dans les circonstances non encore élucidées alors qu’il était considéré comme le leader militaire de la communauté Banyamulenge;

ü  Octobre-Décembre 1996 : le projet de déplacer massivement tous les membres de la communauté Banyamulenge vers le Rwanda, communément connu sous le nom de la « déportation », est évoqué. Projet qui rencontre une grande résistance de la part des militaires et civils de cette communauté.

ü  L’échec du projet de déportation a conduit à l’arrestation et emprisonnement d’une dizaine des commandants militaires Banyamulenge au Rwanda pendant une année;

ü  Octobre 1996- fin 1998 : le sort des militaires qui avaient, indépendamment de la hiérarchie militaire qui les avaient obligés de quitter les alentours du haut plateau d’Uvira-Itombwe-Minembwe, sombre dans le désespoir à cause d’incursions répétitives de la part des miliciens locaux, alors que sans munitions, médicaments et consort.

ü  Décembre 1996 : Le général Kisase Ngandu tombe dans une embuscade alors qu’il était en mission improvisée à Beni-Butembo. Sa mort soulève des suspicions autour de la thèse d’assassinat prémédité;

ü  A la prise de Kinshasa, L.D Kabila s’autoproclame président de la République et nomme le Colonel James Kabare-be(4) comme son chef d’Etat-Major général de l’armée. Une nomination qui créent des murmures au sein de la frange Banyamulenge et renforce la confusion autour de Banyamulenge et militaires appartenant à l’APR ;

ü  Au cours de la campagne de l’AFDL, les militaires Banyamulenge se plaignent autour de la confusion entretenue sciemment entre eux et les militaires de l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) allié de l’AFDL. Novembre 1997 des confrontations violentes apparaissent à Kinshasa et Lubumbashi lors du retour d’un contingent de l’APR qui obligent les Banyamulenge d’embarquer dans ces convois rwandais ;

ü  Janvier 1998 : Une campagne est lancée par un groupe des militaires Banyamulenge pour demander aux cadres militaires et politiques de se dissocier ouvertement avec l’armée patriotique rwandaise dont son comportement affichait l’existence d’un agenda suspect. La campagne a conduit par l’arrestation et l’emprisonnement de ces militaires à Bukavu en date du 25-26/03/1998. Ce groupe était constitué en majorité par ceux-là qui formeront enfin Gumino — Forces Républicaines Fédéralistes (FRF). Ils seront libérés par le commandant Mwungura à la veille de la campagne du RCD ;

ü    Fevrier-Mars/1998 : Une mutinerie des militaires Banyamulenge conduit par Ruhorimbere, Mukalay, Bisogo et al est organisée pour protester contre leur mis en l’écart au sein du commandement militaire des Forces Armées Congolaises (FAC). La mutinerie se résout sous pression du chef d’Etat-Major de l’armée et en résulte l’arrestation de l’un des commandants Banyamulenge qui participait aux négociations ;

ü  02/08/1998 : début de la campagne du RCD qui se voit accompagner par des tueries d’un grand nombre des militaires et civils Banyamulenge à travers tout le pays (Kinshasa, Lubumbashi, Kamina, Kindu, axe Uvira-Fizi). La plupart des membres de la communauté Banyamulenge voient une part de responsabilité des officiels du RCD dans l’extermination de ces militaires et civils ;

ü  Mi-Aout 1998 : La création de l’organisation politique dénommée Forces Républicaines Fédéralistes (FRF) par certains cadres politiques dont notamment Muller Ruhimbika, Mutambo, Gasore et al. L’organisation se voit violemment réprimer par le RCD et les services secrets de l’APR et l’ensemble de ses cadres conduit à l’exil. Le FRF prônait la recherche des solutions aux crises congolaises à travers une démarche interne qui ne provient pas d’une manipulation externe visant ses intérêts. Toutefois, la campagne et les idées de FRF ont inspiré la suite des événements au Sud-Kivu ;

ü    Aout 1998 : Les premières semaines du RCD rencontrées une résistance farouche de la part des militaires banyamulenge qui se trouvaient sous le commandement de Mwungura à Uvira. Ces militaires désistent de faire partie de cette rébellion et refusent catégoriquement d’avancer à la ligne de front avec les éléments de l’APR commandés par le colonel Murokore. Les négociations et tractations finirent par convaincre ces militaires Banyamulenge de la nécessité de voler au secours de la population Banyamulenge qui fuyait Vyura. Un groupe des militaires conduit par le commandant Rugazura finit par rejoindre Murokore à Kalemie dans le cadre de secourir la population civile fuyant Vyura;

ü  Dans la foulée, la nouvelle rébellion se scinde en RCD et Mouvement de Libération du Congo (MLC). Une grande partie des militaires Banyamulenge conduit par le Commandant Moustapha décidèrent de rejoindre le MLC appuyé par l’Uganda compte tenu de l’expérience du passé avec l’allié APR.

ü  10/01 et 17/01/1999 : La cité d’Uvira devient un théâtre des échanges des tirs entre commandant Kijege du RCD d’une part et le colonel Gapfizi de l’APR et de l’autre part les militaires stationnés à Uvira. Les échanges visaient l’arrestation de ceux-là qui avaient été libérés dans la prison à Bukavu ainsi que le commandant Masunzu. L’affaire prend une ampleur d’une guerre ouverte entre militaires Banyamulenge et les éléments de l’APR. les accrochages finirent par se résoudre par l’intervention du commandant Ansoni Kirago ;

ü  Novembre 2000 : Les officiels du RCD dont Nyarugabo, Karaha ainsi que les membres de leur délégation se voient obliger de rebrousser chemin et ne pas atterrir à l’aérodrome de Minembwe. Ils sont renvoyés sur décision du commandant Nyamushebwa et Masunzu qui étaient déployés dans Minembwe. La décision a été prise en vue de manifester les mécontentements des militaires vis-à-vis de la gestion du RCD ;

ü  23-24/01/2002 : Arrestation au Burundi par les services de sécurité burundaise, services secrets rwandais et du RCD d’une dizaine d’anciens militaires Banyamulenge qui avaient quitté les zones contrôlées par le RCD. Ils sont incarcérés et détenus à Mushaki, Nord-Kivu sous la garde de militaires rwandais de l’APR. Parmi ces détenus figuraient les Commandants Ansoni Kirago, et une dizaine d’autres anciens militaires qui avaient décidés de ne plus faire partie de ces rebellions .

ü  18/02-29/09/2002 : La résistance dite de Masunzu à Minembwe. Le RCD et l’APR affrontent les militaires Banyamulenge conduits par le commandant Masunzu. Au cours de cette résistance, plus de 400 militaires Banyamulenge, alors qu’ils combattaient du cote du RCD, se voient arrêtés et conduits au Rwanda. Ils furent dans cette prison-formation plus de 10 mois. Au retrait des éléments de l’APR à Minembwe, le groupe de Masunzu se scinde en deux, l’un connu sous le nom de Gumino-FRF sous le commandement militaire de Makanika et Bisogo. Ce dernier se retranche dans une insurrection contre le gouvernement et il est basé à Bijabo;

ü  2005-06 : Création du CNDP de Laurent Nkunda, probablement pour contrebalancer la méfiance et la résistance affichées par les éléments de la communauté Banyamulenge. Une rébellion qui n’avait que Ruhorimbere et Geliyadi comme commandants Banyamulenge en son sein, se voit farouchement opposer et combattu par les autres dont les commandants Padiri et Mwungura ;

ü  Début 2007 : Masunzu est nommé commandant de la région militaire du Sud-Kivu ;

ü  Mi-2009 : Les opérations militaires Kimya I, II, Umoja-Wetu et Amani Leo sont lancées dans le Nord et Sud-Kivu. Ces opérations commandées par Delphin Kahimbi, Sultani Makenga et al. visent aussi en vain à déloger le Gumino-FRF dans le haut-plateau ;

ü  12/06/2010 : Marcellin Chisambo est nommé gouverneur de la Province du Sud-Kivu en remplacement de Muderhwa Cirimwami Célestin qui a gouverné la province depuis 2008 ;

ü  Fin 2010 : Le Gumino-FRF décide de renoncer à sa lutte armée sous promesse que ses revendications seront traitées par la hiérarchie militaire et gouvernementale ;

ü   30/03/2012 : Une mutinerie des anciens militaires du CNDP est organisée à partir de la zone de Uvira-Fizi après avoir échoué de convaincre leurs collègues Banyamulenge. Les mutins leur avertissent d’être responsables de ce qui leur arriverait après. Enfin, les mutins sont traqués par les loyalistes gouvernementaux sous le commandement du général Masunzu et ses lieutenants

ü  Mi-2012 : Un groupe de jeunes Banyamulenge conduit par Nkingi Muhima(5) qui fut le secrétaire administratif de Makanika entrent en rébellion et rejoint le commandant Rusagara dans la plaine de Ruzizi. Certains de ces rebelles ont fini par abandonner car réalisant l’influence du Rwanda Defence Forces (RDF) et du M23(6), loin de leurs attentes que leur mouvement n’est pas manipulé de l’extérieur ;

ü  2012-2013 : Il y a eu des arrestations au Sud-Kivu des personnes soupçonnées de mener de campagne au profit d’une nouvelle rébellion et du M23. Le cas de Bayamukwe est le plus frappant et qui a fait que ces collègues se voient notifier de quitter le territoire rwandais;

ü  24/05/2013 : Des échauffourées opposent les jeunes Banyamulenge et ceux d’autres ethnies, notamment les motards à Bukavu. Des signes de manipulation au sein de la jeunesse de Bukavu pour servir la base d’une quelconque intervention selon les autorités provinciales(7). Ces accrochages ont fait 41 blessés ;

Voilà la succession des quelques faits qui peuvent expliquer en partie la victoire inaperçue et moins médiatisée en l’encontre d’une probable rébellion au Sud-Kivu, une province potentiellement fertile aux mouvements rebelles dans le passé. Une victoire attribuable aux efforts de Chisambo et Masunzu mais qui trouve son origine dans la vision politique des Forces Républicaines Fédéralistes.

 Ntanyoma R. Delphin

Compte Twitter: @delphino12

Blog: www.easterncongotribune.com

 

Quelques références

  1. http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2757p034.xml0/

http://mulenge.freeservers.com/quisont.htm

Ruhimbika, Manassé (Müller). – Les Banyamulenge (Congo-Zaïre) entre deux guerres, Paris, Harmattan, 2001

2. http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAWEB20130307191537/

3. Déclaration en pdf :

http://www.google.be/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&frm=1&source=web&cd=16&ved=0CFIQFjAFOAo&url=http%3A%2F%2Fwww.congoforum.be%2Fupldocs%2F20130225110725.pdf&ei=2mqTUs_VKqeS0AXA-IDQCA&usg=AFQjCNHmuQQyLrhl5S3jos3HeHLjK55EmA&bvm=bv.56988011,bs.1,d.d2k

4. http://en.wikipedia.org/wiki/James_Kabarebe

http://www.militaryhistoryonline.com/20thcentury/articles/kitona.aspx

5. http://www.google.be/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&frm=1&source=web&cd=6&ved=0CFkQFjAF&url=http%3A%2F%2Fwww.congovision.com%2Fimages2%2Frapport10122008FRA.pdf&ei=T4CTUvC9A7GZ0AXVnYGQDg&usg=AFQjCNG6K1Q5N-dF7OUm-_tT7ViJriYZUw&bvm=bv.56988011,bs.1,d.d2k

6. http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-20545653

7. http://radiookapi.net/actualite/2013/05/24/sud-kivu-41-blesses-apres-des-bagarres-entre-deux-groupes-de-jeunes-bukavu/

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PhD & Visiting researcher @POLISatLeeds. Interest: Microeconomic Analysis of Violent Conflict, Genocide Studies and violence targeting minority groups. Congolese, blogger advocating for Equitable Redistribution of Ressources & national wealth as well as & #Justice4All #DRC. On top of that, I'm proud of being a "villageois"

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