Mutebutsi?Udjani?Morgan: Les raisons de Décès et Avenir Incertain pour leurs Pairs

Il peut sembler presque “immoral” de parler à propos des personnes qui nous ont quitté dans cette vie et surtout en se référant à l’attitude humaine, africaine et particulièrement congolaise de respect envers les morts. En plus de cela, il est à souligner que quelles que soient les crises que traversent nos sociétés ces dernières années, nous n’avons pas non plus à nous réjouir devant la disparition de celui que quelqu’un peut considérer comme auteur, d’une manière ou d’une autre, de faits qui lui a endeuillés. De la manière que la vengeance n’est pas viable en terme d’asseoir la justice, il serait important de recourir aux voies légales pour obtenir justice et enfin tirer des leçons pour le temps à venir.

Toutefois, les circonstances des décès de n’importe qui, indépendamment de son passé, peut toujours susciter des interrogations en dehors de l’attitude africaine de rechercher les explications devant la mort. C’est dans ce souci que cet article discute brièvement les circonstances des morts récentes de certaines personnes dont leur passé est considéré comme “controversé”. Pour certains, ces personnes décédées étaient pris pour des criminels; alors que pour les autres, ils constituaient leurs sauveurs et héros du fait de l’ « ethnisation » du milieu politique congolais. Il s’agit notamment du colonel Mutebutsi Jules, de monsieur Udjani Mangbama ainsi que Paul Sadala dit Morgan.

Tout en reconnaissant les aspects qui les différencient, l’article s’intéresse plus aux caractéristiques communes qui peuvent amener à penser que leurs décès ne sont pas des faits isolés, tout en rappelant que cela constituerait un défi pour l’établissement de la vérité et justice en République Démocratique du Congo (RDC). Alors que les uns les appelaient seigneurs de guerre, chefs rebelles, chefs miliciens ou commandants militaires, il est notoire de rappeler que le choix du qualificatif dépend plus de la considération individuelle de la personne qui les dénomme. Cet article rappelle surtout que les circonstances de leurs disparitions peuvent compromettre l’établissement de la vérité et justice ; mais aussi elles font craindre la suite des événements et l’avenir de leurs pairs. Qui sont-ils alors et pourquoi ces craintes?

1. Udjani Mangbama

Udjani Mangbama est mort le 10/05/2014 au Congo-Brazzaville, précisément à Owando, à 500 Kms au Nord de Brazzaville. A l’âge de 25 ans, il dirige déjà une insurrection au nord-Ubangi  en province d’Equateur (RDC). Fils d’Ibrahim Mangbama (praticien des rituels et chef spirituel de la rebellion Enyele), son père semble l’avoir incité à conduire la rébellion Enyele contre les FARDC depuis les années 2009. La question qui a endeuillé la province du feu Maréchal Mobutu était dans un premier temps une dispute entre la communauté Enyele contre la communauté Munzaya sur les étangs piscicoles. Comme la dispute n’a pas été résolue, elle a conduit à des combats intenses qui ont dépassé les limites communautaires et impliquant les forces de l’ordre.

Cette aventure prendra enfin une tournure politique de façon qu’elle formera un mouvement politico-militaire dénommé Mouvement de Libération Indépendante et Alliés  (MLIA). Ce mouvement presque inopportun  d’Udjani a fini par mettre à feu et à sang le secteur de Dongo et le reste du Sud-Ubangi à tel point qu’il a atteint les territoires de Bomongo et de Libenge ainsi que la ville de Mbandaka. Le 04 avril 2010, jour des pâques, Udjani débarqua à Mbandaka, marcha sur le gouvernorat de province et l’assemblée provinciale et prit l’aéroport. C’est alors que les forces de l’ordre comprirent que cette rébellion peut causer plus du tort à la province et aux populations civiles. Les forces de l’ordre ont enfin intervenu pour combattre la rébellion Enyele; c’est alors que Udjani prit fuite vers le Congo-Brazza.

Il est mort alors qu’exilé au Congo-Brazzaville dans des conditions étranges. Il était supposé être en prison sans armes. Malheureusement, l’annonce de sa mort dit qu’il a combattu les policiers qui avaient pour mission de contrôle à la routine. Il reste ambigu de comprendre comment un chef milicien en exile aurait accédé aux armes, n’importe lesquels, pour combattre les policiers. De par son passé, il est fort probable que les conditions dans lesquelles il est mort soulèvent des suspicions et seraient liées à ses actes commis dans le temps. Il est aussi possible de penser que pendant la période où il dirigeait la rébellion, il a peut-être aussi agi par procuration comme tant d’autres chefs miliciens en RDC. Les raisons qui peuvent lui coûtent sa vie.

 

2. Mutebutsi Jules Mutambatamba

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 Mutebutsi Jules est né le 27/07/1960 à Nganja et est mort subitement le 09/05/2014 au Rwanda où il était exilé depuis le 21/06/2004. Il est de la communauté Banyamulenge et fut parmi les premiers membres de cette communauté à avoir rejoint l’Ecole de Formation des Officiers (EFO) de Kananga en 1988. Apres la formation militaire, il travailla au sein des services logistiques de l’Etat-Major Général des Forces Armées Zairoises (FAZ) à Kinshasa.

 A la venue de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo/Zaïre (AFDL), Mutebutsi Jules rejoignit cette rébellion avec un grade de lieutenant après qu’il ait été libéré dans les mains des FAZ comme ce fut le cas pour plusieurs officiers Banyamulenge lors de l’avancée de l’AFDL. Il est nommé en 1997 commandant compagnie à Katana au Sud-Kivu. En 1998, il devient commandant bataillon à Walikale-Hombo. C’est vers les années 2001 qu’il est promu au commandement de la 9e brigade du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) à Uvira dont la circonscription militaire atteignait Minembwe, son village natal. C’est au mois de février-mars 2002 qu’il commanda l’opération contre l’insurgé Masunzu Pacifique à Minembwe.

Sur les ordres du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD), particulièrement de leurs alliés qui voulait en finir avec toute forme d’opposition au sein de la zone contrôlée par ce mouvement rebelle, le commandant Mutebutsi est ordonné pour mener, avec moins de marge de manœuvres possibles, cette opération contre Masunzu. Quand l’opération devenait compliquée, l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) intervint directement avec une force militaire estimée aux environs de 6000 militaires. C’est alors que le commandant Mutebutsi est désarmé, et ses militaires, spécifiquement les Banyamulenge accusés de connivence avec Masunzu sont arrêtés et emprisonnés au Rwanda pendant plus de 6 mois. L’opinion a toujours pensé que Mutebutsi est à l’origine de ces attaques sans tenir compte de tous les paramètres et des mains invisibles dans cette affaire. Ce fût un moment difficile pour lui et pour la communauté Banyamulenge en général qui a marqué la déchirure sur base des manipulations politiques impliquant même des affinités claniques.

En 2003, Mutebutsi est nommé au grade de colonel et rejoint Bukavu au sein de la 10e région militaire comme adjoint du général Nabyola. L’affaire dit “Major Kasongo et alliés” fait que Bukavu entre en ébullition et les parties en conflits dont d’une part le Colonel Mutebutsi et sa force et d’autre part les généraux Nabyola-Mbuza et leurs forces se sont vus accuser d’avoir commis des exactions envers les civils innocents. En réalité, les manipulations qui ont endeuillé cette ville n’avait qu’une seule mission de contrôler militairement cette ville stratégique au vu des développements qui ont suivi les accords de Sun City en 2002. Il reste toujours possible que les événements de Bukavu qui ont faits plusieurs victimes civils et militaires aient été télécommandés à partir des différentes capitales qui avaient intérêts dans ce désordre. C’est après un désaccord entre Mutebutsi et le général Laurent Nkunda et sous la pression de la communauté internationale que le premier a pris fuite vers le Rwanda. Il a succombé dans des circonstances que certains pensent être floues.

La source imurenge.com écrivant en Kinyamulenge à partir des USA croit détenir une information proche de la réalité de comment Colonel Mutebutsi Jules est décédé. En bref, il est allé faire le massage à la normale sans aucun malaise avec son chauffeur qui le conduisait. Ce vendredi 09/05/2014, il est parti seul alors qu’il se faisait accompagner par son épouse régulièrement. C’est alors à l’intérieur de la salle de massage que le chauffeur de Mutebutsi ait été informé que son chef a un malaise et qu’il doit l’emmener vite à l’hôpital militaire de Kanombe. Selon cette même source, à l’arrivée, Mutebutsi a trouvé 4 médecins qui l’attendaient, comme s’ils étaient alertés de sa situation. Il est alors décédé dans les mains de ces médecins à l’hôpital militaire de Kanombe à 17h et l’information sera livrée à sa famille à 19h. Ça laisse penser aux différentes hypothèses quand un malaise de 15h n’a pas été informé aux familiers jusqu’au décès.

Paul Sadala dit Morgan

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 Paul Sadala dit Morgan (en tennis blanc de jogging), était un chef milicien qui a longtemps opéré en Ituri. Il est décédé le 14/04/2014 en Ituri dans les circonstances qui restent floues, alors qu’il était dans un processus de reddition aux FARDC. Sa milice appelée mayi-mayi Simba s’est fait accuser du viol, cannibalisme et kidnapping et a endeuillé la région d’Ituri pendant au moins 5 ans.

Sa reddition était considérée comme un bon signe pour le rétablissement de la justice et mettre en lumière toutes les accusations qui pesaient sur lui. Les FARDC et la MONUSCO ont fait des déclarations contradictoires sur les conditions de sa mort. Toutes les deux parties (FARDC-MONUSCO) ont promis de mener d’enquêtes pour mieux déterminer les conditions de son décès. Il apparait possiblement que les actions de Morgan ont été téléguidées de quelque part à tel point que sa mort pourrait être liée en cela.

Quels sont les dénominateurs communs pour ces personnes ci-haut citées?

Ces personnes, dont un qualificatif commun me semble difficile à trouver, ont presque en commun quelques caractéristiques: En premier lieu, ils ont fait partie des groupes armés ou mouvements rebelles et ont utilisé des armes pour se faire entendre à des degrés différents. Ils ont, à un certain niveau, commandé des troupes, rebelles ou milices au point de se faire accuser des crimes et cela leur placent dans une position d’avoir des secrets de leurs commanditaires. Pour ce faire, ils ont été recherchés par la justice qui aurait dû rétablir la vérité sur des faits qu’ils se sont fait accuser. A plus forte raison, s’il pourrait arriver qu’ils comparaissent devant la justice, ce serait une opportunité de déterminer les conditions dans lesquelles ils ont opéré et mettre en lumière les vrais commanditaires de ces événements.

Le climat socio-politique congolais prouve à suffisance que ces personnes citées haut doivent avoir agi par procuration et détenir des informations sensibles qui peuvent leur coûtent la vie n’importe quand, à fortiori car peuvent-ils constituer d’éléments gênants. D’où leurs décès soulèvent des suspicions même si elles ne sont pas ouvertement dénoncées. Même s’ils sont morts dans des circonstances différentes et dans trois pays différents, il me semble que la théorie de complot n’est pas à exclure 100%. Et les raisons de leur décès peuvent s’inscrire dans la logique de dissimuler ces secrets détenus par des personnes qui ne sont plus maniables et qui pourront à la longue répondre de leurs actes. Leur interpellation en justice pourrait au grand jour exposer les vrais commanditaires des actes qui ont endeuillés le Congo et particulièrement l’Est du pays. Donc, les enquêtes indépendantes seraient envisageables pour mieux déterminer les conditions dans lesquelles ces personnes sont mortes.

Quelles leçons à tirer de leur disparition?

 Il serait peut-être absurde de parler de leçons à apprendre à travers les circonstances de morts. Malgré tout, un nombre important des gens partagent d’inquiétudes en rapport avec ces décès qui se sont déroulés dans des conditions moins claires. Ces inquiétudes ne se limitent pas seulement à ceux-là qui sont déjà morts mais à d’autres qui sont encore en vie. Il existe encore un grand nombre des chefs militaires, chefs des milices dans plusieurs zones de la RDC et pays de la région. Ces derniers ne doivent pas disparaitre car détenant des secrets sur les événements qui ont endeuillé notre pays. D’une manière spécifique, cet article lance un cri d’alarme pour dénoncer ces plans malsains qui viseraient à dissimuler les responsabilités.

Certains de ces chefs militaires, seigneurs de guerre et chef miliciens ont toujours besoin de déposer les armes et rejoindre le processus du désarmement, démobilisation et réinsertion, d’une part. Et d’autre part, les autres attendent des jugements où ils sont en condition de détention similaire à celui d’un cas discuté dans cet article. Ces détenus-exilés se trouvent éparpillés du Congo-Brazza, Uganda, Rwanda etc. Il est temps de demander que la justice soit faite pour ceux-là détenus afin qu’ils ne soient pas pris en otage pour des raisons de leur passé. De plus, il serait important que ceux qui doivent répondre de leurs actes le fassent pour que la vérité des faits soit établie pour en tirer de leçons pour l’avenir de la RDC. Des possibles jugements nécessiteraient l’établissement indépendant à travers des enquêtes et investigations visant à mettre à jour les responsabilités et complicités aux différents degrés.

Ceux-là qui doivent rendre les armes seraient confiants en apprenant que les vérités ont été faites sur les circonstances de mort de celui-là qui est mort alors qu’il était en processus de reddition. Au-delà de ces cas spécifiques, il appartient au gouvernement congolais, partenaires et la communauté internationale  de repenser l’ensemble des problèmes qui sont restés en suspens et qui deviendraient dans le temps de source de conflit entre communautés alors qu’il y avait moyen d’en prévenir. Les chefs militaires, chefs miliciens et la société congolaise en général seraient priés de tirer des leçons aux disparitions pareilles pour mieux comprendre les méfaits de la manipulation et gérer leurs actes; tout en mettant en avant les intérêts du peuple. Il serait souhaitable de considérer que les voies des armes doivent cesser; privilégiant la voie du dialogue.

Ntanyoma R. Delphin

Compte Twitter @delphino12

Blog: www.easterncongotribune.com

 

 

 

About admin 430 Articles
PhD & Visiting researcher @POLISatLeeds. Interest: Microeconomic Analysis of Violent Conflict, Genocide Studies and violence targeting minority groups. Congolese, blogger advocating for Equitable Redistribution of Ressources & national wealth as well as & #Justice4All #DRC. On top of that, I'm proud of being a "villageois"

2 Comments

  1. Aussi longtemps qu’il y aura en RDC des gens qui auront une conception illusoire de grandeur ou de gloire, que ça soit au près de ceux qui sont aux charges de l’Etat ou des multiples rébellions, la situation demeurera telle qu’elle est, je ne sais pour combien de temps. Ce n’est pas en lisant les aventures des guerres dans des ouvrages européens qu’on reproduira facilement les événements passés dans un cadre historique totalement différent à la réalité congolaise. Sans oublier les estomacs insatisfaits. Quelle animosité !

    • Merci Bigira pour ta contribution. Je crois avoir compris que vous voulez rappeler le sens de l’egalité pour tous qui doit etre etabli par les decideurs qui dirigent le pays ainsi que la redistribution equitable des richesses. Je penses en plus qu’il faut lever nos voix pour exiger ces conditions. A mon avis, ca serait la meilleure facon de combattre ces maux qui rongent le pays, mais bien sur d’une maniere constructive

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