Tuerie de « Chefs Coutumiers » & la Crise de Minembwe: Qui est Kawaza Nyakwana ?

« Qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage » dit-on ! L’une de grandes accusations qui sous-tendent la crise actuelle de Bijombo-Minembwe (comprenez les Hauts Plateaux d’Uvira-Fizi-Itombwe) est les tueries de chefs coutumiers. Ces accusations font croire que ces tueries sont conçues en vue d’accaparer les terres des autres. Elles datent de longtemps et se situent vers les années 1996-1998. Les cas les plus souvent cités sont l’assassinat de Henri Spark du Groupement Basimunyaka Nord qui a été tué en date du 19 Septembre 1996 dans l’Itombwe ainsi que le Mwami Mubeza François de la Collectivité Lwindi/Kasika. Alors que le premier a été tué en début de la guerre de l’Alliance de Forces Démocratiques pour la Libération du Congo/Zaïre (AFDL), ce dernier est assassiné avec de centaines d’autres civils innocents le 24 Aout 1998 ; juste au début de la rébellion du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD.

Le chef de groupement Henri Spark est tué, par des combattants en majorité Banyamulenge qui enfin appartiendront à l’AFDL au village Makutano/Itara. Cette localite Makutano est en pleine région d’Itombwe jadis habitée par le Banyamulenge et Babembe. Par contre, Mwami Mubeza François est lui sauvagement assassiné à Kasika à la suite de la mort du Commandant Sebagiro et Misoni. Alors que Sebagabiro et Misoni sont tous deux de Banyamulenge, les tueurs de Kasika étaient constitués par des militaires appartenant a plusieurs groupes ethniques, ils étaient de soldats de la rébellion RCD que membres de leurs communautés ethniques. Le lien entre les deux rebellions avec toute la communauté Banyamulenge, accusée souvent à tort ou à raison dans ces tueries reste floues.

Toutefois, pour justifier même l’injustifiable, les narratifs et accusations font référence aux tueries de chefs coutumiers comme faisant partie du plan hégémonique de cette communauté d’assujettir les autres groupes ethniques. Longtemps analysées dans une perspective politique et mobilisatrice, ces accusations ont été longtemps véhiculées par les « Livres-Blancs »[1] du Ministère des Affaires Etrangères pendant les guerres qui ont secoué le Congo entre 1998-2003. La propagande politique en temps de guerre ! En conséquence, tout avait été pris comme messages divins provenant des livres-blancs dont les seuls répondants sont le Banyamulenge plutôt que les rebelles ou à moindre mesure leurs chefs politiques que militaires.

C’est dans ce sens que de milliers de journaux, d’interventions radio-télévisées, les rapports des Nations Unies, ceux des organisations non-gouvernementales ainsi que les Mediaş Sociaux ont tous, dans l’unanimité, conclu que Kawaza Nyakwana, Naribwini Muninga, Runanika Jacques avaient été tués― et assassiné car chefs coutumiers ; dans cette « logique hégémonique ». Cet article blog retrace largement le parcours de Kawaza dont la plupart d’observateurs le croient être l’élément déclencheur de la crise qui secoue les Hauts Plateaux ci-hauts cités. Ce dernier a été tragiquement tuée par Semahurungure Kimasa en date du 4 Mai 2019 à Mikalati.

Selon la loi fixant le statut de chefs coutumiers (cliquez ici pour retrouver la loi), sont considérés comme Chefs Coutumiers : chef de chefferie, chef de groupement, et chef de village désignés conformément à la coutume locale. Et la coutume locale est définie comme étant l’ « ensemble des usages, des pratiques et des valeurs qui, par l’effet de la répétition et revêtus d’une publicité, s’imposent, à un moment donné, dans une communauté, comme règles obligatoires ». Les éléments importants à considérer sont : « pratiques et valeurs par l’effet de la répétition…[devenus] règles obligatoires ».

  1. Qui est Kawaza Nyakwana ?

Son nom est Kawaza Nyakwana Kibuga (Norbert). Il est le fils de Nakatotela Lufungulo Nyakwana et Kabuzaya Nyabisuba. La famille propre de Kazawa et son épouse était constituée de 3 fils (dont 2 qui sont déjà morts) et 4 filles toutes mariées. Il est de la communauté Banyindu, originaire de Lwindi, du clan de Banyamuganga. Leur famille étendue est connue sous le nom de famille Nyakwana.

La famille Lufungulo Nakatotela s’est établie dans les localités de Kamombo vers 1963 en provenance de Lwindi. De leur arrivée, cette famille s’est établie au village dénommé Mizinga en localité Kamombo Groupement Balala Nord, Secteur de Tanganyika en territoire de Fizi. La localité de Kamombo est et a toujours été sous la gestion du chef Ntayoberwa. La famille Lufungulo avait été accueillie par le chef de village Mizinga, du nom de Kabere ; alors que Kawaza était encore un bebe (plusieurs sources le croient être né vers 1961-62). Après quelques années vécues au village Mizinga, la famille Nakatotela Lufungulo s’installa à Kanihula vers les années 1970.

Alors que la famille est installée à Kanihula, Kawaza Nyakwana a fait son école primaire à Mikalatati (1-3e) et Kamombo (4-6e) où il obtint son certificat de la fin des études primaires dans les mains de l’enseignant célèbre Semajambi. Il a fait son école secondaire à Mboko et Lusenda et n’a pas eu la chance de continuer ses études. Avant de se lancer dans les dossiers de gestion de villages―localités, il a été un bon croyant au service de l’Eglise Méthodiste Libre au Congo (CLMC). Il a occupé au sein de son église locale et paroissiale (Kanihula) les fonctions de chargé du Développement (Maendeleo Kanisani « MAKI ») ; et enfin, les fonctions du Secrétaire du District (paroisse) au sein de la même Eglise. Il occupa dans la suite le rôle du président du Comité de Gestion du Centre de Sante de Kanihula. Dans la suite, Kawaza Nyakwana fut aussi juge au sein du « tribunal local » dans la localité de Kamombo ; fonctions qu’il coupla avec celles du secrétaire du Chef de village de Kanihula, Fungamwango Sukari Donat. Fungamwango Sukari, village Kanihula…, nous nous situons dans la localité Kamombo, chez le chef Ntayoberwa. Il a été aussi Secrétaire du Poste Secondaire d’état, une forme déconcentrée du territoire, au niveau de Kanihula.

Alors qu’il était Secrétaire du chef de village Fungamwango Sukari Donat[2], Kawaza s’engagea dans une lutte contre ce premier en vue de le remplacer (1995-1996). Par certaines manœuvres, il aurait été soutenu par le Chef de Groupement Balala Nord en vue de soustraire Kanihula et quelques villages de ses environs dans la localité Kamombo. Pour rappel, le groupement Balala Nord est composé de 5 localités dont Kilumbi, Nakiele, Kamombo, Kamombo-Kungwe, Lwelela. Les trois derniers se situent dans les Hauts Plateaux et sont respectivement gérés par Ntayoberwa, Muyehe Muhasha ainsi que Watanga. Nulle part dans ce groupement Balala Nord, Kawaza y figure comme chef de localité ni chef de village avant 2010. Le conflit entre Kawaza et Fungamwango resta pendante jusqu’à l’éclatement de la guerre de 1996.

Lors de la guerre de 1996 qui éclata pour la première fois dans les Hauts Plateaux dans le village de Kanihula, Kawaza décida de prendre fuite vers la région de Mutambala et puis Mboko. Certaines sources indiquent qu’il aurait participé dans la violence opposant des communautés pendant cette période. Kawaza avait aussi été cité dans la mort du Pasteur Ruterera Bijemberi, son voisin, qui fut le Préfet de l’Institut Théologique de Mikenke. Ces accusations sont actuellement difficiles à vérifier bien qu’indices peuvent être retrouvés.

Etant toujours en dehors de Kanihula depuis 1996, Kawaza Nyakwana s’engagea indirectement dans la défense locale autour de groupes Maimai. C’est vers les années 2007 qu’il regagna son village de Kanihula après quelques discussions―négociations avec les anciens rebelles « FRF-Gumino ». Ces rebelles avaient été basés à Bijabo quand ils sentirent cette nécessité de « pacifier » cette zone alors que Kawaza constituait l’une de personnes qu’il fallait impliquer; indiquent certaines sources. De son retour à Kanihula, Kawaza s’engagea encore dans le même combat contre Fungamwango Kafalme, qui avait remplacé son père Fungamwango Sukari Donat.

Dans cette guéguerre contre la famille Fungamwango, en usant de fois la violence, Kawaza se heurta à l’opposition de Nyerere et Shamberege Fungamwango Yohana. Le dernier fut assassiné vers Kilumbi avec une main suspecte de Kawaza. Un dossier existerait au sein de la justice au niveau d’Uvira qui inculpe Kawaza dans ce meurtre. D’autre part, Nyerere échappa aux tentatives d’arrestation par les éléments qui soutenaient Kawaza. D’ailleurs, Nyerere qui fut membre des forces armées de la RDC avant de se désengager, avait jugé bon de ne pas fuir ni combattre à la mort de Kawaza (mai 2019). De preuves existent en rapport avec la confrontation entre Nyerere―famille Fungamwango contre Kawaza. Dans une circonstance tragique et condamnable, la mort de Kawaza Nyakwana arriva sans qu’il ait été promu nulle part « chef coutumier ».

D’autres éléments sur les circonstances de la mort de Kawaza sont retracés dans cet article blog.

  1. Naribwini Muninga & Runanika Jacques

Naribwini et Runanika sont morts respectivement en date du 12 et 14-15 Septembre 2019. Le premier appartient à la communauté Banyindu alors le second serait plus de la communauté Bafuliro.  Naribwini Muninga était chef de village Ibumba (Ouest Minembwe Centre) ; alors que Runanika était le chef de village Mpugamo/Gahwera (Kahwela) au Nord-Ouest de Minembwe Centre.

Fils de Nyabibona Muninga, Naribwini est né vers les années 1952. Sa famille se serait installée en partie Ibumba vers les années 1970 en provenance de Kabara-Kamombo (parait-il que cette famille trouve aussi son origine dans le Lwindi). De 1970 jusqu’en 1999, la famille Nyabibona Muninga se trouvait dans les villages sous le contrôle du chef Tongwa Karagwa, de la localité Karojo Vedaste. Tongwa Karagwa a toujours eu pour village, la localité connue sous le nom de Bunyoni. Karagwa était alors le chef des villages Ibumba, Bunyoni et Kabucangwa. Donc, le village Ibumba est situé dans le Groupement Basimunyaka Sud, sous le Chef de Groupement (actuel) Kasindi Kitongo.

Vers les années 1990, Naribwini Muninga tentant de se désolidariser de Tongwa Karagwa. Il est signalé que la famille Muninga était la plus forte économiquement mais aussi numériquement. Les membres de la famille Muninga ne sentaient plus la nécessité d’être sous la gestion de Tongwa Karagwa. Les guerres de l’Est du Congo éclatèrent dans ce climat de méfiance entre les deux familles. De 1998-1999, Tongwa Karagwa se rallie difficilement aux rebelles du RCD comparativement à Naribwini Muninga. En guise de récompense de son soutien au RCD, Naribwini est promis chef de localité d’Ibumba au même titre que Karagwa Tongwa.

Alors que le mouvement rebelle engagait une reforme territoriale qui créa le Territoire de Minembwe, plusieurs localités avaient été érigées en Groupements dont la localité Kivumu du chef Karojo Ndahinda. C’est dans ce climat de méfiance et de positionnement que Naribwini Muninga a connu cette montée qui lui valut aujourd’hui le titre de chef coutumier. Sa position économique, l’appui de sa grande Muninga ainsi que ses positions conciliantes lui propulsa au rang d’être le premier interlocuteur de la communauté Banyindu-Bafuliro vivant à Lulenge. Au milieu des confrontations violentes et les efforts pour retrouver la paix entre les communautés Banyindu-Bafuliro et Banyamulenge, Naribwini qui aurait été l’homme de réconciliation tombe dans une embuscade au village de Ruhemba (en plein Minembwe). Sa mort suscite de multiples de questions alors qu’il avait été accompagné par trois militaires FARDC qui annoncèrent le décès de celui-ci. Les trois militaires sont rentrés sans qu’aucun échange de tirs ait lieu. Ils sont tous rentrés sains et sauf. Le lieu de l’embuscade, les circonstances de celle-ci ainsi que la réponse immédiate de se venger me font toujours craindre que sa mort aurait été planifiée par des personnes qui attisaient le feu.

Le même parcours aurait caractérisé Runanika Jaques. Avec sa famille, ils s’installèrent dans la partie Gahwera/Mpugamo vers les années 1978. Alors qu’il avait été chef de ce village (à la fin de la décennie 80) au sein de la localité Kaluta (Rugabano) ; en 1999, il est promu chef de localité à la suite de la création de plusieurs groupements en territoire de Minembwe. Dans la suite de celle-ci, Kaluta est devenu Chef de Groupement alors que Runanika Jacques est devenu automatiquement le chef de localité. Il est mort la nuit du 14-15 Septembre 2019 à la suite d’un enlèvement orchestré par des personnes dont on pourrait croire être de « combattants » affiliés à la communauté Banyamulenge. Son village avait été épargné par des attaques Maimai alors qu’il était au milieu des autres incendiés et détruits complétement. Il reste difficile d’affirmer ou d’infirmer que la mort de Jacques Runanika avait été planifie depuis les années antérieures dans le cadre de récupérer les terres.

  1. Conclusion

De Kawaza, Naribwini, et Runanika, les raisons derrière ces tueries et assassinats seraient plus liées au contexte de violence que connaissait cette partie du pays plutôt que le voir dans le sens d’éliminer tous les chefs coutumiers. Pour preuve, les Chefs Coutumiers bien reconnus n’ont pas été visés entre 1996-2019 (23 ans) ; alors qu’ils existent. Depuis 1996 jusqu’en 2019, la région avait connu de violences en différentes épisodes sans que les chefs coutumiers ne soient visés. De plus, si les tueries de Notables expliquent les visées hégémoniques, il serait si lourd si on les compte par chaque groupe ethnique. L’absence de l’autorité de l’état ainsi que la criminalisation de violence expliquerait en grande partie ces tueries qui visent les individus ; ou soit parce que les tireurs de ficelles y voient une sensibilité d’attiser les tensions. Il serait d’ailleurs que de personnes mal intentionnées auraient voulu créer ce climat de désespoir et de suspicion entre communautés en vue de profiter de ce chaos.

Alors que les contestataires de cette version (article) pourront lire ma subjectivité sans qu’ils aient le courage d’en produire une autre, je ne clame pas détenir le monopole sur les passés de ces personnes citées. En plus de cela, l’objectif de cet article n’est pas de faire l’avocat du diable ; mais plutôt d’inciter l’objectivité dans l’analyse de faits. J’encourage le sens d’approfondir ce débat en se referrant sur d’autres versions qui peuvent nous éclairer en vue de trouver un compromis. On déduirait de mon article que la violence, à tous les niveaux, s’accompagne de la simplification de faits qui de fois pourront constituer d’intox/propagande. Par conséquent, il est important de voir la réalité derrière tous les « narratifs » qui se créent pendant les périodes de violence. Tout en condamnant ces genres de tueries et l’usage de la violence, cet article rappelle encore une fois cette nécessité de bâtir une société équitable et égale devant la loi. Le vide sécuritaire rendra cette partie du pays ingouvernable et les vulnérables en souffrent beaucoup plus !

NTANYOMA R. Delphin

PhD Researcher in Conflict Economics

The Institute of Social Studies/

Erasmus University Rotterdam

Twitter : https://twitter.com/Delphino12

Blog : www.easterncongotribune.com

[1] https://www.droitcongolais.info/files/Livre-blanc-du-Ministere.pdf

[2] Funga Sukari Donat est fils de Shemuruba et de Nyamberege ; cette famille semble avoir occupé le village de Kanihula des années avant la famille Kawaza.

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PhD & Visiting researcher @POLISatLeeds, proud of being a "villageois". My interest: Peace, conflict, Genocide Studies, Minority ethnic groups, DRC, African Great Lakes region. Congolese, blogger & advocate #Justice4All in #DRC.

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