« Ce sont les mêmes qui continuent à tuer en RDC. Les comptes macabres de Kipupu sont dans la ligne droite des massacres qui frappent la RDC depuis 1996 ». Cette phrase est du célèbre Prix Nobel de la Paix, le Docteur Denis Mukwege. Elle a été déclarée dans la suite des condamnations du « massacre » de Kipupu par plusieurs personnalités et acteurs. Les affrontements―attaques qui ont endeuillé Kipupu ont eu lieu dans la nuit du 15-16 Juillet 2020. L’attaque avait été revendiquée par Twirwaneho/Gumino qui sont des groupes d’auto-défense/armés affiliés à la communauté Banyamulenge. Ces derniers affirment avoir attaqué Kipupu car était (ayant été) le bastion du groupe MaiMai Ebuila Kibukila.
Sans revenir aux controverses qui ont caractérisé ce débat sur ledit massacre, je salue les efforts de la Monusco qui ont fait qu’au moins le monde ait l’image presque claire de ce qui s’est passé à Kipupu. Alors que certains témoins « oculaires » avaient compté 90 corps, les efforts de cette force des Nations Unies auraient fait (en plus d’autres voix demandant la clarté sur cet incident parmi de centaines d’autres qui n’ont jamais fait l’objet d’enquête) ont fait qu’on sache qu’une quinzaine de personnes ont malheureusement péri durant cette attaque. Toutefois, il subsiste toujours de zones d’ombres dont l’identité de ces victimes aussi longtemps que certaines sources affirmeraient qu’il y a eu des morts de deux côtés qui s’affrontaient. De questions persistent si ces victimes étaient toutes de civils ? Aucune source indépendante et objective ne l’a confirmé. A quoi fait référence le rapport de BCNUDH qui estime que les civils avaient quitté Kipupu depuis Mars 2020.
“Plusieurs sources rencontrées surplace indiquent également que la population civile aurait quitté le village de Kipupu depuis le mois de mars 2020.” page 10
Ensuite quel est le lien entre l’incident « massacre » de Kipupu par rapport aux autres incidents qui ont endeuillé les Hauts Plateaux depuis 2017 ? S’il est difficile de retrouver les informations de 2017, est-il aussi difficile de rétablir même les faits qui ont eu lieu entre Mai et Septembre 2019 ? Certains d’ailleurs se sont produits dans la partie Itombwe à quelques mètres du village de Kipupu et ayant impliqué de groupes armés qui sont encore actifs dans cette partie du pays ? Pourquoi Kipupu seulement dans toutes cette tragédie ? Parce que ces victimes ont eu de voix des élus du peuple en leur faveur ?
- Si tout le monde avait 30 Députés Provinciaux, un Sénateur et des Mouvements Citoyens…
Durant 31 jours, je partageais personnellement ce tweet :
#Minembwe: Si tout le monde avait 30 Députés Provinciaux & 1 Senateur et des Mouvements Citoyens appelant à ta cause, on n'en serait pas là où nous sommes aujourd'hui #Jour31 pic.twitter.com/P9AQLeuKoy
— Ntanyoma R. Delphin (@Delphino12) August 22, 2020
L’objectif était et est simplement de rappeler que nos députes―élus ne devraient pas être si partisans et moins impartiaux jusqu’à ce niveau. Alors que la crise dans les Hauts Plateaux d’Itombwe-Minembwe avait fait de multiples dégâts humains, matériels ; villages entiers incendiés, de propriétés razziées ; de milliers vivant dans de camps sous forme de concentration, peu de voix ont évoqué et condamné cette tragédie. Les députés provinciaux ou nationaux ni même les sénateurs ; moins sont ceux qui ont osé lever leurs voix pour condamner cette tragédie. Si du moins les députés ne peuvent pas condamner des exactions commises en l’encontre de leurs constituants ; il faut alors questionner nos rôles.
Membre du Senat a dit:
« Nous attendons du gouvernement une demande urgente d’enquête des FARDC sur les présumés 220 morts de civils signalés par les députés provinciaux du Sud-Kivu. Le silence sur cette question nous fait croire que la vie des Congolais n’a plus de valeur aux yeux de ses dirigeants. »
Une partialité des élus? On dirait que défendre de « groupes majoritaires »[1] sert aux fins populistes mais aussi électorales ; ça se fait comprendre. D’une manière etrange, ces députés et sénateurs ont été rejoints par les représentants de mouvements citoyens. Des mouvements citoyens qui n’hésitent de défendre même une cause qui contredit largement leurs missions et visions. Sans que leurs voix aient été entendu depuis longtemps, ces mouvements ont si vite affirmé que de centaines ont été massacrés à Kipupu alors que “l’investigation” était en cours. En plus de cela, certains de ces mouvements ont mémé exigé qu’une commune rurale, créée dans un processus de la décentralisation, soit annulée. Les questions de choix et positions restent discutables mais le silence pendant une année de ces mouvements est aussi à questionner.
- Ceux qui ont tué à #Kipupu sont-ils « les mêmes qui continuent à tuer en RDC » ?
Une attaque-affrontement de Kipupu revendiqué. Le nombre de morts changait du jour au lendemain de 5, 12, 15, 18, 20, 90 jusqu’à 220. Les médias et réseaux sociaux ne spéculaient plus sur l’identité de tueurs ; ils appartiennent à un groupe ethnique de la région; groupe qui est aussi au centre de débat et contestation. Députés et mouvements citoyens rejoignent leurs forces pour affirmer les faits prouvant qu’un « massacre » a eu lieu. Pour enfoncer le clou, le Prix Nobel affirme qu’ils sont les mêmes qui continuent à tuer. Il est applaudi par certains mais aussi contredit par d’autres. Les derniers sont minoritaires pour de raisons bien connues.
Bien que le Dr Denis Mukwege n’ait pas explicité clairement le sens de mots « ces sont les mêmes », toute interprétation indique qu’il évoque de tueurs―massacreurs d’avant-hier, hier et aujourd’hui ; car ils continuent… En plus, il insiste sur les mêmes qui tuent en RDC depuis 1996 ; comme qui dirait, ce sont les Banyamulenge ou les groupes qui leurs sont affiliés qui ont tué les Congolais depuis 1996. D’ailleurs, de débats en appui ou en désaccord avec le Dr Mukwege spéculent sur cet aspect pour dire que le centre du débat est : qui sont les « tueurs » au Congo depuis 1996 ? Ceux qui ont tué à Kipupu ne sont pas les seuls ni les mêmes qui ont tué depuis 1996 car d’abord la responsabilité est individuelle. Sans l’ombre d’aucun doute, les tueurs sont plutôt nombreux ; ils appartiennent aussi aux multiples groupes communautaires mais aussi aux différents Etats et pays de la région.
Pour preuve, sur les 617 violations graves des droits de l’homme contenues dans le Mapping Report, on peut affirmer que de commanditaires sont dans les bureaux climatisés dans la région : au sein du gouvernement provincial du Sud-Kivu, au sein de la Société nationale de chemin de fer du Congo (SNCC), Ministères de Défense à Kigali, Kampala, Bujumbura, et Kinshasa; dans les hautes instances au sein de l’administration Congolaise, des anciens dignitaires de Mobutu, certains ont disparu dans la nature et se seraient enfuis vers les grandes capitales du monde… Bien que la liste reste encore dans les armoires des forts, il est inconcevable de croire que ceux qui tuent et continuent à tuer se trouvent dans les Hauts Plateaux de Minembwe. Je vois difficile que ces jeunes qui se sont constitués en auto-défense spontané soient les premiers à être cités dans les crises et violations de droits de l’homme qui ont été commises entre les années 1993-2003. Toutefois, la stabilité de cette partie du pays passe par la justice et la réhabilitation de toutes les victimes. Donc, Mukwege ne devra pas faire l’objet de menace s’il demande que justice soit rendue.
Toute en condamnant n’importe quelle forme de menaces et d’intimidation en l’encontre du Dr Denis Mukwege, je reste de l’avis que son silence par rapport au drame récent qui a secoué les Hauts Plateaux de Minembwe a aussi été désastreux. Ses louables efforts pour sauver les vies humaines face à la tragédie de viols et d’autres maux qui rongent la société reste d’une importance capitale pour l’avenir du Congo. Sa détermination pour exiger que la justice soit rendue aux victimes est un engagement louable dont le docteur ne doit pas faire l’objet d’attaques personnelles. Mais, ses déclarations ne devraient pas prêter confusion surtout quand elles sont émises dans de contextes fragiles et volatiles.
En plus de cela, la position du Prix Nobel de défendre toutes les victimes des atrocités du passé, ceux qui se commettent aujourd’hui mais aussi d’autres qui se commettront dans l’avenir doit être soutenue. Sa position peut sauver le monde et à plus forte raison sa province natale. Je mets à défis qui veut de prouver que le Dr Denis Mukwege a émis une quelconque déclaration condamnant les atrocités qui ont sécoué les Hauts Plateaux de Bijombo-Minembwe depuis 2017. En partie et en ce qui me concerne, le débat actuel autour du Prix Nobel est aussi à situer autour de son silence quand de centaines de villages ont été incendiés ; de centaines tuées ; de milliers de bétails razziés ; de civils assiégés par les groupes armés. Je crois, il est toujours nécessiteux et important qu’il se prononce pour sauver cette situation ; surtout en ce qui concerne la crise humanitaire qui secoue Minembwe.
NTANYOMA R. Delphin
PhD Researcher in Conflict Economics
The Institute of Social Studies/
Erasmus University Rotterdam
Twitter: https://twitter.com/Delphino12
Blog: www.easterncongotribune.com
[1] La declaration Filimbi a Evoque cet aspect ambigu dont on peut croire est derrière cette prise de position de nos « députés ». https://easterncongotribune.com/2020/07/26/que-signifie-les-communautes-majoritaires/
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