Alors que la situation s’est empirée il y a quelques années dans la partie sud du Sud-Kivu, une des rescapés du double carnage Bibogobogo-Mboko (1996) et Gatumba (2004) Lucie Nyamwiza (pour surnom) nous a partagé son calvaire qui date de deux décennies. L’élément important de son témoignage est l’impunité qui a accompagné les atrocités commises dans l’est du Congo ; particulièrement autour de sa communauté. “La chose la plus choquante est que les commanditaires de tout cela, sont dans les institutions de l’Etat, dans une liberté totale, sans que personnes ne puisse même leur pointer du doigt. Qu’est-ce qui dissuaderait ces criminels de répéter ce qu’ils avaient réussi à faire en 1996 en toute impunité ? Ces événements-là, sont les plus douloureux que nous ayons vécu dans notre vie. Cela m’amène à penser que, ce sont leurs auteurs qui continuent jusqu’à présent à manigancer d’autres plans dangereux contre notre communauté, puisqu’ils n’ont jamais été inquiétés par qui que ce soit. L’Etat leur a toujours prêté main forte dans tous leurs plans, ils s’en sont toujours servi pour se protéger contre toute poursuite. Qu’est-ce qui les empêcherait de répéter ce qu’ils avaient fait sans qu’ils ne soient aucunement inquiétés” explique Lucie.
Témoignage
Je réponds au nom de Lucie Nyamwiza, du clan Abasita. J’ai été élevée dans une famille chrétienne et mon papa fut l’un de pasteurs de l’Eglise Méthodiste. Nous avons vécu à Minembwe où je suis née. Vers les années 1980-90, ma famille habitait à Minembwe, plus précisément sur la colline Gitavi. Ma famille a après déménagé vers Bibogobogo. En 1996, j’avais déjà obtenu mon diplôme d’Etat de l’école secondaire.
Par ce récit douloureux, j’aimerais vous partagez mon témoignage qui est caractérisé de différents moments difficiles de ma vie. Il s’agit des moments que j’ai partagé avec plusieurs personnes. J’insisterai beaucoup sur deux périodes difficiles qui ont le plus affecté ma vie sur différents aspects. Je parlerai à propos de la manière dont j’ai survécu la guerre de 1996 ; et ensuite, comment j’ai été affectée par la guerre et le massacre de Gatumba en de 2004. Ce massacre a causé la mort de 166 personnes dans le camp des réfugiés de Gatumba, où j’étais personnellement réfugiée. Je vous parlerai de la manière dont j’ai vécu ces deux évènements et comment je suis parvenue à échapper à ces massacres qui voulaient nous emporter tous.
Il me sera difficile d’entrer dans beaucoup de détails, parce que ça fait longtemps que ces événements se sont déroulés. Je m’efforcerai de parler des grands faits qui avaient caractérisé ces événements, dont les conséquences m’ont beaucoup traumatisée et ont fortement affecté ma vie.
Entre le 18 et 19 Septembre 1996 nous avions été informés de la prise en otage d’un groupe de Banyamulenge qui était établi à Kabela (une de localités situées sur le Lac Tanganyika). Un groupe de personnes provenant des moyens plateaux de Bibogobogo qui se rendait à Kabela pour rendre visite à ceux qui y étaient comme d’habitude, avaient rebroussé chemin en cours de route quand ils apprirent cette inquiétante nouvelle. Sur le trajet de leur retour, un groupe d’assaillants est monté vers Bibogobogo, juste quelques heures après eux.
Ainsi, Les hommes et les femmes se trouvant sur la colline (village), appelée, Kwa MATARE avaient été pris en otage par ces assaillants. L’information avait aussitôt circulé que Bibogobogo est attaqué. A la réception de ces informations, tout le monde avait été effrayé et une grande peur dominant tous les villages.
- Situé Bibogobogo & le Long Chemin vers le Calvaire de Lweba
Bibogobogo se situe dans les Moyens Plateaux de Fizi-Baraka. Il est entouré au nord et au sud par les localités habitées par les membres de l’ethnie Babembe. Pour arriver à Minembwe, il faudrait passer par les localités habitées par les Babembe. Cette panique générale a poussé chacun à prendre la direction qui lui semblait sûre. Face à ce danger collectif, un groupe d’hommes du milieu avait pris le chemin vers le littoral pour aller informer l’autorité administrative du danger qui les attendait.
Parmi ceux-là, il y avait les hommes des différentes localités (villages) de Bibogobogo : ceux provenant de des villages Bivumu, Magaja et Nyagisozi. Ceux dont je peux me rappeler nommément sont (si ma mémoire est bonne encore) : le pasteur RUGENDIBONGA, le pasteur RUSINGIZWA, le Révérend GAPARASI, le pasteur KIGARIGARI, NDASARARA. Il y avait certainement un délégué de la localité de Magaja dont je ne me rappelle plus son nom. Ces derniers sont partis voir les représentants de l’administration publique à Lweba, chapeautée par le chef de Groupement, Monsieur MULUMBA. Ce dernier avait remplacé Monsieur SALAMBA qui fut le chef de groupement.
Après avoir exposé leurs préoccupations auprès du chef de Groupement Mulumba, il leur avait promis de garantir leur sécurité. Un groupe de ces délégués était remonté pour donner le compte rendu de leurs échanges avec le chef de Groupement. Durant la nuit qui avait suivi le départ de cette délégation auprès du chef de Groupement, une grande peur s’était emparée de tout le monde, au point où la majorité de gens avait déjà apprêté tous leurs biens nécessaires pour fuir.
Certains avaient pris le chemin de Mugorore, passant sur le village dit de Banyakarama. Pour ce qui est de notre village et celui de MAGAJA, on n’avait même pas attendu le retour de la délégation, car nous avions pris la direction de Lweba pour les rejoindre. Tout en allant vers Lweba, nous avions ainsi passé la nuit à TUBONDO, une localité qui se situe à quelques Kilomètres de notre village (Bivumu) avant d’arriver à Lweba. C’était alors le 20/09/1996. On était parti avec tout ce que l’on pouvait amener, les biens, les enfants, les chèvres, les vaches.
Dès notre arrivé Lweba, les autorités avaient décidé de nous regrouper en un seul endroit comme des otages qui attendaient leur dernier sort. Au même moment, on nous proférait des insultes et des menaces disant qu’ils vont nous ramener au Rwanda ; sous prétexte que de là que d’où nous sommes venus. Sans surprise, on n’avait entendu aucun message de réconfort pour nous apaiser. Ici, j’aimerais aussi souligner le fait qu’à Lweba, il y avait de nombreux pasteurs d’Eglise Méthodiste ayant travaillé avec leurs homologues de notre Communauté. Malgré les mauvais traitements que les autorités étatiques nous ont infligé, nous n’avons pas vu aucun membre de cette église nous venir en aide ; au moins, dans la limite de leurs moyens. A plus forte raison, la plupart d’entre nous étions de la Communauté Méthodiste, dont l’évêque de cette congrégation avait sa résidence à Baraka. Baraka est dans quelque kilomètres de Lweba.
Dans cet endroit où nous étions encerclés, les hommes n’étaient permis de se déplacer. Toutefois, dans un premier temps, les femmes pouvaient aller au marché et retourner. Un jour lorsque nous allions au marché, quelqu’un nous avait montré une voiture qui transportait l’évêque de la Communauté Méthodiste et nous a conseillé de nous approcher de lui pour lui faire part de notre situation et celle de ses pasteurs. Par grande, il refusa de nous visiter malgré nos supplications. De ma part, j’ai toujours cru que l’Eglise Méthodiste partagerait la Responsabilité de ces horreurs avec l’Etat congolais. L’Evêque de l’Eglise Méthodiste aurait presque le même statut que le Gouverneur de Province. Mais, le fait qu’il n’ait rien fait pour les chrétiens et pasteurs de son Eglise pris en otage, cela me semble inconcevable jusqu’à présent.
En commençant par mon père, la quasi-totalité des pasteurs pris en otage et tués à Lweba étaient de la Communauté Méthodiste. De surcroit, cet Évêque de l’Eglise Méthodiste n’a même pas eu le courage de venir en aide le Pasteur avec qui il se côtoyait régulièrement du nom de MAHOTA alors qu’il vivait à Baraka pour des raisons professionnelles au sein de la Communauté Méthodiste. Dans la moindre mesure, il aurait pu au moins le cacher ; et l’aurait épargné par ce massacre. Ainsi vous comprenez pourquoi la responsabilité de ces massacres serait partagée entre l’Eglise Méthodiste et l’Etat Congolais.
- L’Heure de l’Assaut : Nous étions Condamnés car « ennemies par le sang » ?
Après nous avoir pris en otage, nous avions été répartis dans différentes maisons. Nous y avions passé une semaine, sans savoir le sort qui nous était réservé, suite aux informations contradictoires que nous ne cessions de recevoir. Nous ne recevions aucune information précise, sauf celle de voir se succéder les jours et les nuits, qui se ressemblaient d’ailleurs au vu de l’impasse dans lequel nous étions.
Le 27/09/1996, si je ne me trompe, dans la soirée, presque vers 17 heures, il nous était venu un homme, presque soulard, qui nous amenait l’information que cette nuit tous les rwandais allaient mourir, parce que les soldats qui étaient à Bibogobogo avaient été tués par les « INKONTANYI », que vous niez être chez vous.
Vous vous souviendrez que, précédemment je vous avais dit que les habitants de Bibogobogo avaient été tous pris en otage. Les hommes avaient été tenus séparément des femmes. Les hommes avaient par la suite été acheminés à Baraka. Attendant leur sort comme tant d’autres, certains jeunes Banyamulenge ont pu intervenir dont la plupart venait de Minembwe en passant par Bibogobogo ou ils avaient été alertés de ce plan maccabre de nous exterminer. Parmi ces jeunes, il y avait ceux qui deviendront par la suite les militaires de l’AFDL de Mzee Laurent Desire Kabila. Leur intervention a sauvé ceux qui étaient encore vivants à Bibogobogo.
Malgré les informations fournies par le messager soulard, il nous était difficile d’imaginer le nombre de scenarios qui nous attendent. Au milieu de la nuit, plusieurs crépitements des balles avaient été entendues, suivi des grenades. La maison dans laquelle nous étions, avait deux pièces ; l’une était occupée par nous et l’autre par les membres d’autres familles. Ces derniers avaient été attaqués durant la nuit. Dans la pièce qu’ils occupaient, il y avait plus de 20 familles. A l’aube nous avions entendu des cris de partout, mais par après il y avait eu une courte accalmie. Par ailleurs, on s’attendait aussi qu’ils entrent dans notre pièce lorsqu’ ils auraient achevé l’inhumaine besogne dans la pièce voisine.
L’accalmie sera par après suivi des bruits des brouettes qui transportaient les cadavres de ceux qui avaient succombé durant le carnage de cette nuit. Cela fait partie des événements qui m’ont le plus frappé, car c’était la première fois dans ma vie que j’étais confrontée à des images pareilles. Bien sûr que j’avais déjà entendue de multiples histoires sur les guerres que le Banyamulenge avaient vécu dans le passé, mais, de ma part c’était la première fois que je vivais cela directement, par mes propres yeux et mes propres oreilles. C’était la première que je voyais un homme ôter la vie à un autre sans qu’il n’y ait aucun différend entre eux et sans même qu’ils se connaissent.
Ainsi une fosse commune avait été apprêtée tout près de l’ancien marché de Lweba, pour y jeter tous les corps qui étaient transportés par brouette. Ceux qui connaissaient bien le milieu à cette époque, pourraient avoir une idée claire de la localisation du marché. Je me souviens avoir vu un homme de la localité de MAGAJA du nom de Pascal, dont les articulations avaient été mutilées pour qu’il contienne dans la brouette suite à sa haute taille.
Je me souviens avoir vu un enfant qui tétait sa mère morte. Je me souviens avoir vu ceux qui respiraient encore avec leurs intestins en dehors. Je me souviens que cette nuit il y avait eu une forte pluie chargée d’une terrible vapeur. Les ténèbres avaient élu domicile dans nos cœurs !
Au matin, les hommes s’étaient rendus dans la pièce où le carnage avait eu lieu pour se rendre compte de la situation. Certains étaient encore agonisants ; il y avait aussi des petits enfants que nous avions retirés des cadavres, qui sont encore en vie aujourd’hui. Il y avait des blessés, parmi lesquels étaient à peu près 11 petits enfants que nous avions mis à l’écart. Du coup, un groupe des soldats provenant de MBOKO sont venus nous dire qu’ils étaient là pour nous acheminer vers le Rwanda ; que les auteurs du massacre sont des bandits et des soulards, que nous soyons rassurés car l’Etat est venu nous porter secours.
Après concertation, les hommes s’étaient dit, que malgré le nombre des morts, il faudrait quand même partir avec les blessés pour leur sauver la vie. Les soldats leur avaient refusé cette requête. Quand ils les abandonnaient, certains blessés, les suppliaient de ne pas les laisser seul. Epris de compassion envers les blessés, un pasteur du nom de MUHANDA a rebroussé chemin. Les soldats lui avaient demandé où il allait, il leur avait répondu qu’il partait amener ces enfants blessés. A cette réponse, les soldats se jetèrent sur lui et le tabassèrent gravement.
Parmi les enfants blessés, il y avait certains qui n’avaient plus de mains, d’autres dont les grenades avaient brulé le corps, mais dont il y avait encore un espoir de vie. Nous soupçonnons que certains de ces enfants auraient été acheminés en Tanzanie, d’autres auraient été achevés sur place et que d’autres auraient été utilisés par leurs détenteurs de la Communauté Babembe comme moyen d’obtenir asile en Occident, en avançant l’idée, de les avoir sauvés la vie, alors que ce sont eux qui sont à l’origine de ce carnage.
- Double Carnage : Lac Tanganyika Devenu une Fosse Commune
Nous avions quitté Lweba dans une embarcation, sans qu’on n’eût rien sur nous. On nous refusa même de transporter la nourriture que nous avions préparée.
Je ne me souviens pas exactement de l’heure il était lorsque nous avions été embarqués vers Mboko. Dans ces conditions, les jours et les nuits sont pareils. Il était difficile de différencier les heures, de ma part ; mais je pense qu’il était presque 12 heures bien que quelqu’un d’autre pourrait dire que c’était vers 10 heures. Néanmoins ce dont je suis sûr est que c’était durant la journée.
Alors qu’on était encore sur la côte, on nous avait entassé dans un espace très réduit et nous étions surveillés par ceux qui se nommaient, les gardes civils. Leur rôle était de nous soumettre à toute sorte de torture mentale, à travers les injures, en nous disant que nous méritons ce qui nous était arrivé, et qu’il était temps de nous faire retourner d’où nous sommes venus.
Dans quelques instants, un groupe de 5 jeunes hommes avaient été sélectionnés pour conduire les troupeaux. Parmi ces jeunes, il y avait mon petit frère, un homme du clan Abasinzira du nom de SABAHINDA, un homme du clan Abasita du nom de MUHUBIRI, un autre du clan Abahiga du nom de DUDU et un autre du nom de KAJONGA. On leur donna la responsabilité de conduire les troupeaux de vaches et des chèvres appartenant aux familles qui étaient présentes. Les « critères » de sélection étaient qu’ils avaient la même apparence que Paul Kagame. C’était la dernière fois que nous les avions vus ; mais aussi ces troupeaux.
Nous avions par la suite été acheminés à MBOKO par le lac Tanganyika. Nous y arrivâmes durant la nuit, il m’est difficile de préciser l’heure exacte. Après avoir accosté sur la plage de MBOKO, tous les hommes avaient été mis à l’écart. L’embarcation traina sur la plage ; et ces militaires sont revenus que lorsqu’ils vinrent rechercher les hommes. Parmi ceux qui sont venus amener les hommes, il y avait les gardes civils, les soldats, il y avait aussi ceux qui s’exprimaient en Kinyarwanda, au point où je me rappelle celui qu’on appelait GAHUTU ; je ne sais pas s’il s’agit d’un nom circonstanciel, mais il y avait parmi eux, ceux qui parlaient le Kinyarwanda.
Tous les hommes avaient par la suite été étendus sur la plage, couchés sur leur ventre, mains liées soit à l’aide de leurs ceintures ou par leurs chemises pour ceux qui n’avaient pas des ceintures. Après cela, ce fut le tour des femmes d’être débarqué de l’embarcation pour être groupé sur la plage côtière. L’embarcation ayant été vidée ; on avait pris tous les hommes ligotés pour les réembarquer encore une fois. Ils nous ont par la suite dit qu’ils amenaient les hommes à UVIRA, d’autres au Rwanda ; et qu’ils seront de retour lorsqu’ils leur feront parvenir à leur destination.
Lorsqu’ils avaient fini à embarquer les hommes, nous avions été acheminées dans un grand hangar où nous y passâmes la nuit. Le matin, nous avions été entourés par un groupe des gens appartenant à l’ethnie Babembe. Nous avions été hués, injuriés, etc. Ils nous faisaient tout ce qu’ils ont l’habitude de faire lorsqu’ils ont en face quelqu’un de notre communauté. L’humiliation était à son comble. Avec nous, il n’y avait aucun homme. C’est ce jour-là que tous les hommes embarqués avaient été tués. Bref, ils avaient été ligotés et jetés vivat dans les eaux du Lac Tanganyika.
Si je reviens un peu en arrière dans la chronologie, je me souviens que lorsqu’on nous embarquait à Lweba, nous avions vu venir un groupe de personnes provenant de je ne sais où, qu’on retirait d’un camion, comme si on décharge les colis. Après avoir porté une vive attention sur eux, nous avions vu que c’était un groupe de Banyamulenge, eux-mêmes nous racontèrent par après qu’ils venaient de Baraka. Parmi eux, étaient un monsieur dénommé Athanasse du clan de Abagabika, un autre du nom de Jonas (YONA), et une fratrie dont la fille la plus âgée répond au nom de Nyajuru. Ces derniers nous avaient par après dit qu’ils étaient rescapés et que parmi ceux qui avaient été pris en otage dans le village de Bibogobogo, que la quasi-totalité d’entre eux a été tuée et que cela a eu lieu à l’endroit où ils avaient été groupés.
Les deux hommes qui étaient venus avec cette fratrie ont été aussi parmi le groupe d’hommes embarqués à Mboko. Si mes estimations sont bonnes, autour de 100 hommes, avaient été embarqués à MBOKO pour être inhumainement jeté dans le Lac Tanganyika, les mains liées. Parmi ces hommes, il y avait mon père et 2 de ses petits frères. Son autre petit frère est mort avec le groupe de KABERA. En résumé, je peux dire que parmi mes plus proches parents, ce carnage a emporté la vie de mon petit frère, de mon père avec trois de ses petits frères, et d’une manière générale d’autres frères et sœurs de la localité de Bivumu, Magaja et Bibogobogo.
- Femmes Zaïroises dont leur Destination doit être le Rwanda !
Après la mort de tous les hommes qui étaient parmi nous, nous fûmes acheminés à Uvira. Je me souviens qu’on a été embarqué vers le soir. Certaines de ces femmes a crié aux hommes qui les embarquaient qu’elle voulait à ce qu’elles aussi soient tuées. L’un de ceux qui les conduisaient leur répondit en Kinyarwanda, qu’elles ne s’inquiètent de rien car la finalité est de nous exterminer toutes.
Ainsi, nous fûmes transportés vers Uvira. Pour ceux qui connaissaient Uvira, à notre arrivée nous fûmes groupés près d’un monticule de sables qui s’étaient formés près des bordures de la côte portuaire. C’était déjà trois jours passés, sans que nous eussions mis quoique ce soit sous la dent.
Je me souviens alors, avoir vu certaines femmes, ramasser les petites mangues non encore mures, qu’elles mâchaient pour donner à leurs enfants abattus par la faim, pour qu’ils ne meurent pas. Pour celles qui allaitaient, elles n’avaient plus encore de lait qui sortait de leurs seins pour nourrir leurs enfants.
Je me souviens avoir vu un enfant qui n’avait pas pu résister à la famine et qui est mort, que nous avions enterré dans le sable tout près de nous. C’est dans les alentours de la côte que nous faisions tous nos besoins naturels, c’est l’eau du lac que nous buvions ; c’est dans ce petit espace réduit que nous satisfassions tous nos besoins. Nous y avions passés deux jours.
Pendant ces deux jours passés sur le sable bordant le port, nous avions été visités par différentes personnalités tant civiles que militaires. Je me souviens que, parmi des nombreux visiteurs, l’un s’était approché de nous, pour nous demander s’il y avait quelqu’un qui pouvait s’exprimer en Kiswahili. Le choix des femmes a porté sur moi, puisqu’il n’y avait aucun homme qui était parmi nous.
J’ai alors été soumise à plusieurs questions dont je ne me rappelle plus bien. Parmi quelques-unes dont j’ai encore le souvenir, il y a :
Es-tu congolaise ou rwandaise ?
Si tu es congolaise, pourquoi parles-tu une langue semblable au Kinyarwanda ?
Pourquoi avez-vous des personnes blessées parmi vous ? avez-vous été victimes des affrontements et ont-ils eu lieu ?
Je leur avais expliqué par la suite ce qui s’était passé, mais ils ont rejeté tout ce que je leur disais. Mais certains parmi mes interrogateurs avaient donné du crédit à mon témoignage.
Ils m’avaient par la suite demandé si j’ai vu les INKONTANYI ?
Ils m’avaient encore demandé où étaient nos hommes et si nous voulions être acheminées au Rwanda ou être tuées ? et d’autres questions dont je n’ai plus souvenir, qui dépassaient mon intelligence compte de l’âge que j’avais à l’époque. L’un de mes interrogateurs m’avait par après dit qu’il n’avait aucun pouvoir sur tout ce qui se passait dans le pays à l’époque, mais qu’il ne voulait aucunement porter la responsabilité de notre sang. Il s’était levé et il était sorti.
D’autres qui étaient restés, nous avaient abondamment sermonnées sur notre nationalité et que nous devrions partir au Rwanda, d’où nous sommes venus.
A la question qui m’avait été préalablement posée de savoir s’il fallait choisir entre retourner au Rwanda ou être tué ; je me suis retournée vers les autres femmes pour leur demander leur avis. Toutes avaient répondu que puisque leurs maris et leurs plus jeunes fils étaient tous morts, la vie ne valait plus rien pour elles, et qu’elles souhaitaient être tuées à leur tour. Cependant, les interrogateurs, leur avaient répondu qu’ils les achemineraient au Rwanda.
Au deuxième ou troisième jour, nous avions vu la visite de l’équipe du CICR. Le CICR nous avait apporté les biscuits, mais pour les mâcher, il nous fallait les tremper dans les eaux du lac, car on était à bout d’énergie pour pouvoir mâcher un biscuit. Après cela, nous fûmes embarqués dans un camion du CICR.
La cité d’Uvira et toute la plaine de la Ruzizi étaient remplies des réfugiés rwandais, parmi lesquels étaient les Interahamwe. Tout celui qui nous croisait, jetait sur nous tout ce qui était à sa disposition. Certains nous avaient même jeté les lances, les unes ont atteint les bords du véhicule, mais d’autres étaient parvenues à blesser certains d’entre nous.
- Apatridie & Le Désespoir
Nous nous étions arrêtés vers Bwegera. A notre arrivée nous avions été mis dans la salle d’une petite maison, alors que nous étions au nombre de plus de 200 personnes, composées uniquement des femmes et des enfants. Jusqu’à présent cette petite maison existe encore. D’ailleurs, un jour, de passage à Bwegera, j’ai eu la curiosité de m’en approcher pour la visiter et voir comment est-ce qu’elle est à l’intérieur.
Nous avions été frappés par la faim, une forte chaleur, et nous étions étouffés, à la suite du manque d’air. Le pavement de cette maison était inondé d’une quantité énorme du sang et tout le monde s’était par après dit, que personne n’y échapperait cette fois-ci. Ce que j’avance, je ne suis la seule à l’avoir vécu et ce n’est pas une histoire d’enfants. Il y a encore d’autres témoins vivants, que moi qui peuvent vous les raconter. Personne, à ce moment n’avait aucune crainte d’être tuée, d’ailleurs, nous étions impatientes à affronter la mort, et nous nous lamentions du retard qu’ils mettaient pour nous achever définitivement. La mort nous était plus préférable à la vie.
La vie ne paraissait plus avoir aucun sens pour toutes femmes, qui avaient perdu leurs maris et leurs fils.
Nous pataugions dans une boue de sang ; nous pensions d’ailleurs que c’était, dans cette maison que furent tués les Banyamulenge de Bwegera et tous les autres qu’ils ramassaient par-ci, par-là.
Il y a quelque chose qui m’a toujours tourmenté et je n’ai jamais compris jusqu’à présent. Il y avait un soldat qui était à la garde, qui nous versait de l’eau dessus. Je ne sais pas, s’il le faisait par intention malveillante ou bienveillante, mais la seule chose que j’avais retenue de cette histoire, est que, cela nous avait sauvés la vie. Nous étions tellement étouffées, au point qu’ils nous auraient été difficiles de survivre jusqu’au lendemain. A chaque une heure passée, le soldat nous versait dessus un saut d’eau. A côté de cette maison, était un camp qui abritait les Interahamwe, qui n’avaient cessé de nous réclamer toute la nuit pour nous tuer. Les soldats zaïrois qui étaient à la garde leur répondaient qu’il ne restait que les femmes et les petits enfants et qu’il faudrait les laisser aller au Rwanda. Cependant, ils n’étaient pas satisfaits de cette réponse, car ils restèrent dans les alentours de la maison, se disant que celle qui s’éloignera loin de la maison, tombera entre leurs mains. Mais cette nuit aussi aura son matin et tout le monde était sain et sauf.
En revenant un peu en arrière, il est important de rappeler que moi j’avais certaines connaissances à MBOKO, que j’avais maintes fois côtoyé pour des raisons diverses. A l’époque où nous étions pris en otage, c’était la période des vacances au point dans la foule qui observait, il y avait même de jeunes garçons et filles. Du coup, j’avais pu remarquer parmi la foule qui nous huait certaines personnes que je connaissais. L’un de celles-ci m’avait dit que les 5 jeunes hommes, parmi lesquels étaient mon petit frère, qui avaient été retirés des autres à LWEBA étaient encore vivants et étaient dans une prison locale. Mais il a été décidé que, puisqu’ils avaient une forte ressemblance avec Paul KAGAME, ils devraient être brûlés vifs.
Dans ma vie j’ai vécu plusieurs situations, mais celle qui m’a le plus traumatisée, c’est celle de n’avoir jamais vu la mort de mon frère. Il m’a été difficile d’accepter cela pendant un long temps. A certains moments je pensais que peut-être, ils se seraient rétractés et les auraient épargnés. A d’autres moments je me demande si lorsque les libérateurs sont venus, ils ne les avaient pas encore tués. Est-ce que, ne serait-il pas parmi les disparus trouvés de part et d’autre ?
Cela m’avait pris un long temps pour que j’accepte la mort de mon frère, et son sort semblait me préoccupait plus que toutes les personnes dont j’avais vu la mort ; en commençant par mon père, qui d’ailleurs m’avait suffisamment exprimé ses adieux.
Lorsque mon père me disait des adieux, je lui avais posé la question de savoir pourquoi est-ce qu’il me disait ses adieux comme si moi je ne serais pas tuée. Il m’avait répondu, que moi je vivrai. Avec lui, nous nous sommes dit nos adieux, au point de lui dire d’associer aussi Maman, mais il m’avait dit que cela n’était pas nécessaire. Maman avait été traumatisée depuis le jour où mon frère avait été amené vers une destination inconnue. Cela lui avait ôté tout appétit, qu’elle ne désirait aucunement manger.
Par cela j’étais persuadée que mon père et tous les autres hommes à sa compagnie étaient bel et bien morts, mais cela n’a jamais été le cas pour mon frère. Même à ce moment où je vous parle, c’est comme si c’était une nouveauté pour moi et cela ravive encore de l’espoir en moi. Je pense que les membres de familles de ces jeunes qui étaient en compagnie de mon frère vivent toujours aussi la même situation.
Après une nuit passée dans cette maison à Bwegera, on nous avait fait prendre la route vers Kamanyola.
A notre arrivé à Kamanyola, ils mirent de côté les enfants mâles, puisqu’on en avait, dont l’âge pouvaient varier de quelques mois à 14 ans. A cela nous avions compris, que malgré le fait qu’ils aient exterminé les hommes, même les petits enfants mâles ne seraient pas épargnés. Prises de panique, les femmes commencèrent à vêtir leurs petits-enfants mâles des robes pour qu’ils soient confondus aux petites filles. Je ne me souviens plus de ce qui s’était réellement passé pour que les enfants qui furent mis à l’écart puissent nous être retournés. Mais, c’était aussi un de miracle de ce parcours-calvaire !
Je crois, si l’un des personnes avec qui nous étions entend ce témoignage, c’est bien qu’il apporte d’autres éléments complémentaires sur ce que j’ai omis, car il y a de cela 24 ans que cette tragédie ait lieu. Même si la succession de tous ces évènements était horrible, il y a certains de ces événements qui avaient frappé chacun de nous plus que d’autres.
Nous avions par la suite traversé la frontière avec tous les enfants, de l’autre côté, à Bugarama. Puisque peu d’entre nous avaient les habits, un camion chargé des vêtements était venu vers nous pour distribuer les vêtements à tous ceux qui n’en avaient pas. Après nous être bien vêtus un autre camion avait été mis à notre disposition pour nous acheminer vers le camp de réfugiés qu’on avait apprêté à Bugarama.
Lorsque nous étions arrivés dans le camp de réfugiés de Bugarama, nous y avions rencontré le Banyamulenge qui habitaient à Uvira et ceux qui habitaient à Bwegera. C’est là que nous avions eu suffisamment d’informations sur le sort général réservé aux membres de notre communauté.
Pour la première fois, nous avons pleuré, car au moins, on avait devant nous les gens qui pouvaient nous entendre.
- Traumatisme & Manque de Justice
Durant tout notre calvaire de Bibogobogo jusqu’à Bugarama, je n’avais vu personne pleurer. Je ne pouvais voir que des personnes traumatisées, qui ne savaient plus où elles étaient, ce qu’elles faisaient, ce qu’elles disaient et quel jour il était ; mais je n’avais jamais vu personne pleurer. C’était vraiment difficile de pleurer dans ces circonstances, puisque nous étions conscientes, que ce n’était qu’une question de temps pour que notre tour arrive aussi. On avait perdu tout espoir en la vie. Dans nos esprits on ne s’imaginait même pas qu’il y aurait un secours quelconque qui nous viendrait de quelque part ; nous pensions que c’est Dieu qui nous avait livré à nos malfaiteurs pour nous traiter comme bon leur semblait. Mais dans ces plans macabres, Dieu avait jugé bon que ce fût nous qui puissions rester, après la perte de nos frères et nos maris.
Je me souviens de la nuit de Lweba, lorsqu’on tuait les gens et qu’on les chargeait dans des brouettes pour ensuite être jeté dans une fosse commune à un endroit que tout le monde connait et avait vu, mais jusqu’à présent aucune responsabilité n’a été établie. Au moment où je vous parle, cette localité est encore habitée.
Je me souviens de la nuit de MBOKO, lorsque nos hommes ligotés, avaient été entassés dans une embarcation, pour être jetés dans le lac Tanganyika à tour de rôle, alors que les autres circulaient en toute quiétude, comme si de rien n’était.
Ces choses sont bien connues par toute personne qui était présente. Plus de 100 hommes tués, sans qu’aucun ne puisse être épargné. Ici il ne s’agit que des hommes des villages Bivumu et Magaja, sans parler de ceux de Bibogobogo, Kabera, Uvira, Bwegera et d’autres qui avaient été tués par-ci par-là ! Je ne les inclus pas dans cette énumération ; je ne parle que de ceux de nos deux villages.
Les rescapés, n’étaient que les veuves, sans aucun homme parmi elles ni un garçon de plus de 15 ans. La chose la plus choquante est que les commanditaires de tout cela, sont dans les institutions de l’Etat, dans une liberté totale, sans que personnes ne puisse même leur pointer du doigt. Qu’est-ce qui dissuaderait ces criminels de répéter ce qu’ils avaient réussi à faire en 1996 en toute impunité ? Ces événements-là, sont les plus douloureux que nous ayons vécu dans notre vie. Cela m’amène à penser que, ce sont leurs auteurs qui continuent jusqu’à présent à manigancer d’autres plans dangereux contre notre communauté, puisqu’ils n’ont jamais été inquiétés par qui que ce soit. L’Etat leur a toujours prêté main forte dans tous leurs plans, ils s’en sont toujours servi pour se protéger contre toute poursuite. Qu’est-ce qui les empêcherait de répéter ce qu’ils avaient fait sans qu’ils ne soient aucunement inquiétés.
En terminant cette première partie de ces douloureux événements, j’aimerais vous dire qu’il y a des événements horribles qui m’ont profondément blessée jusqu’à présent.
Quand je pense à tout ce que j’ai vécu moi-même, à tout qui m’a été raconté et à ce qui continue à être fait à notre communauté ; je suis choqué par le fait que tout le monde regarde notre malheur comme un non-événement. Mais je me demande aussi la question de savoir si Dieu était-il aussi indifférent à notre sort à la manière de nos voisins immédiats ! Dieu n’avait-il pas considéré même l’innocence des gens de Bibogobogo, peuplés des gens, sans défense ? Dieu nous avait-il aussi abandonné malgré cela ? Ces questions hantent mon esprit jusqu’à présent et elles remplissent mon âme d’une douleur insupportable. La deuxième chose, qui m’a toujours tourmenté, c’est la mort de mon frère que je n’avais pas pu voir pour que je puisse complétement désespérer de ne plus le revoir dans ce monde. Je me suis toujours souvenu de lui lorsque je suis de passage à Mboko.
Un jour lorsque j’étais de passage à Mboko, j’ai réalisé, qu’à l’endroit où on avait étendu mon père et tous les hommes qui étaient avec lui, on y avait érigé un cabaret et une maison de passage tenue par les prêtres de l’Eglise catholique. On aurait pu passer la nuit à cette maison, mais lorsque nous étions assis dans le cabaret, je me sentais comme si j’étais assis sur le crâne de mon père ; et du coup je me suis levé pour quitter le lieu. J’avais pu alors raconter mon histoire à qui je pouvais durant cette nuit, car cette expérience m’avait été insupportable.
- Pourquoi ce sort nous avait réservé ?
Pour revenir à mon frère, le fait de pas savoir le sort qui lui a été réservé et sa mort me tourmente jusqu’à présent. Lorsque je suis retourné sur le lieu, car c’était un milieu que je connaissais bien, j’avais demandé aux gens de me renseigner sur le sort réservé à ces 5 jeunes hommes parmi lesquels était mon frère. Certains me disaient qu’ils avaient été brûlés et d’autres avaient peur de me dire quoi que ce soit. La nouvelle qui me parlait de leur immolation me réjouissait car, je me disais, qu’après tout, toutes les morts sont pareilles, mais le doute envahissait mon esprit, le souci était de savoir comment il était mort exactement.
La troisième chose qui m’a plus blessée, ce sont les échanges que nous avons eu avec mon père. Même si je me considérais déjà comme morte, j’avais tellement confiance en mon père au point de ne pas croire au fait qu’il sera aussi tué. Cette confiance était venue des paroles que mon père me disait. Mon père avait insisté en disant que moi, je ne mourrai pas et que je devrais le croire. A chaque fois que je sombrais dans une quelconque impasse, je me souvenais toujours de ses paroles. Les gens de mon village se souviendront des événements ayant précédé la guerre lorsque la peur était à son comble. Deux semaines avant leur mort, les gens avaient été rassemblés dans l’Eglise locale, et ils nous avaient dit ce que Dieu leur aurait dit durant les années 70 avant que nous ne naissions. Ils nous avaient dit ce qui était déjà arrivé et ce qui devrait arriver. L’Orateur était le Pasteur MUTURUTSA. Je me souviens que mon père m’avait rappelé certaines de ces prophéties lorsqu’il me disait ses adieux.
J’avais été aussi choqué un certain matin lorsque le jeune fils du pasteur MUTURUTSA du nom de IRIHOSE, s’était délié de sa ceinture qui attachait ses mains pour revenir sur la plage après avoir été jetés dans le lac. Il fut battu inhumainement. Il cria de toutes ses forces en appelant sa mère, qui ne pouvait qu’entendre gémir son fils sans qu’elle n’y pût rien. Nous avions été profondément choqués par cela au point de désirer la mort. Je me souviens encore des cris d’IRIHOSE sur la plage de Mboko, où à force de crier sans avoir quelqu’un pour lui porter secours, avait fini par se résigner à son sort.
Je me souviens des visages des enfants morts de famine que nous avions enterrés dans le sable bordant le lac Tanganyika.
Il y a des fortes traces de blessures laissées dans mon esprit par les traumatismes des images macabres auxquelles j’ai été confrontée. Leurs souvenirs vivifient toujours ces événements au point de les rendre nouveaux, surtout lorsqu’ils sont associés aux événements actuels qui endeuillent encore notre communauté. Cela me pousse à me demander, pourquoi le monde a toujours observé sans rien faire tout ce qui porte atteinte à notre survie ; comme s’il ne voyait, ni n’était informé de rien ? Cela m’a toujours blessé.
Je préfère passer à la deuxième partie de mon témoignage, qui concerne les atrocités que j’ai vécues à Gatumba, car cette histoire fait partie des choses qui m’ont les plus blessée aussi.
- Calvaire de Gatumba/Burundi
Avant de commencer le témoignage sur Gatumba, j’aimerais apporter quelques éclaircissements sur ce que m’avait dit mon père, que je ne mourrai pas. Son message ne concernait que cette période et non pas toute ma vie, car il m’avait dit que j’arriverai au « Rwanda ». Il y a d’autres détails très intimes qu’il m’avait dits (qui se sont déroulés tel qu’il me les avait dits), que je ne pense pas nécessaire de dévoiler ici ; que je partage avec les personnes avec qui nous avons l’habitude d’échanger.
Nous avons passé un temps suffisant dans le camp de Bugarama avant de retourner au pays pour nous établir à Uvira. En 2004, deux officiers de l’armée s’étaient froissés au point de tribaliser la question. Dans le sillage de ce conflit, les étudiants, les élèves de la communauté Banyamulenge avaient été tués. Cette situation a fini par atteindre Uvira où nous vivions. Les gens nous jetaient dessus les pierres, et il était difficile de se déplacer d’un lieu à un autre suite à cette situation d’insécurité dans laquelle nous étions. Cela a fait à ce que nous cherchions refuge au Burundi voisin, à Gatumba.
Si je ne me trompe pas, je pense que nous avions fui à Gatumba vers le mois de juin 2004, et si ma mémoire est bonne, je crois que je suis arrivée à Gatumba le 11 juin. Nous n’avons pas traversé la frontière le même jour, car les gens partaient en groupes détachés. Pour ce qui me concerne, j’avais commencé par faire traverser mes enfants et moi j’avais traversé après. Il m’avait été difficile de trouver le chemin ; j’avais fini par le trouver, mais avec difficulté, car même si on n’avait pas encore atteint le stade de nous tuer, on pouvait par contre jeter des pierres sur nous lorsque nous étions aperçus.
Le 12 août, je suis retournée à Uvira pour arranger certaines de mes affaires, car malgré le risque, certains faisaient quelques trajets allers-retours entre Gatumba et Uvira. Par exemple, certains avaient laissé leurs biens entre les mains des voisins et quand l’occasion se présentait on pouvait retourner prendre certains de ces biens laissés. Mais pour retourner il fallait l’autorisation des militaires, qui nous donnaient un document de voyage.
Le 13 août, J’étais partie demander la permission, mais les paroles qui m’avaient été dites par le militaire que j’avais rencontré lorsque j’étais allée demander la permission m’étonnèrent. Le soldat m’avait dit qu’il était préférable que je ne parte pas ce même jour ; mais plutôt le lendemain. Il avait insisté pour que j’obtempère à sa demande, tout en lui suppliant aussi de me comprendre et de répondre favorablement à ma requête. Je lui avais dit que j’avais laissé les enfants à Gatumba et qu’il fallait que je les rejoigne. Le soldat avait insisté qu’il était de mon intérêt que je retourne et que je me souviendrais de ses conseils toute ma vie.
J’ai été convaincu et je rebroussai chemin. Pendant la nuit vers 22 heures, nous avons été alertés par les gens disant que le camp de Gatumba a été attaqué. Ma famille n’était pas à l’intérieur du camp, mais juste à côté dans une petite maison, au point où certaines balles tirées depuis le camp de réfugiés de Gatumba atteignaient la maison où étaient mes enfants.
A la réception de ces nouvelles, je m’étais souvenue des avertissements du militaire, au point où j’avais eu l’intention de retourner le voir le matin à son poste pour lui demander s’il était au courant de cela. Nous étions parties en étant au nombre de 3 femmes parmi lesquelles était quelqu’une du nom de NYAMAHORO du clan de ABASEGEGE. Quand nous étions arrivées au poste où était le militaire, nous ne lui y avons pas trouvé. Du fait qu’il n’était plus nécessaire qu’on demande les autorisations, nous avions directement traversé la frontière vers le Burundi pour nous rendre à Gatumba.
De ce que nous avions entendu, je suis partie en étant convaincue qu’il ne restait personne, mes enfants inclus, car il était difficile que quelqu’un te dise que tout le monde est mort. Dans un premier temps, chacun voulait savoir le sort de ses siens. La seule information qui circulait, était que tout le monde était mort et on ne cherchait pas à se renseigner davantage.
Quand vous analysez comment est-ce que le massacre a eu lieu et la proximité des camps des militaires et des policiers qui étaient chargés de sécuriser le camp durant la nuit, on ne comprend rien du tout. Quand j’associe cela à l’avertissement du militaire qui m’avait dit que je me souviendrai de lui toute ma vie, ce qui est d’ailleurs vrai, puisque je parle encore de lui jusqu’à présent (16 ans après), il nous est difficile de comprendre ce carnage. C’est de cette façon que moi et mes enfants avions eu la vie sauve. Il n’y a aucune ruse de notre part qui justifierait le fait que nous soyons sortis indemnes de l’attaque. Que ce soit en 1996 ou en 2004 à Gatumba, il n’y a eu aucune influence de notre part ou d’une autre personne pour que nous ayons la vie sauve. Nous devons cela à la main de Dieu.
A Gatumba on n’a rien entendu d’un quelconque secours de l’armée Burundaise pour disperser les assaillants ! Non ! Ces assaillants étaient venus ; ils avaient attaqué le camp sans être gêner par qui que ce soit. Bien que Agathon Rwassa ait revendiqué l’attaque du camp, nous sommes convaincus qu’il y avait la complicité de nos frères congolais, si je m’en tiens à l’information qui m’avait été donnée par le militaire à veille du massacre. En outre, nous n’avons jamais entendu l’Etat congolais demander des comptes à rendre au Burundi pour ses citoyens tués sur son sol.
Cela est le témoignage des événements douloureux que j’ai vécu dans ma vie ; mais celle-ci n’est pas faite que de cela. J’ai eu à vivre d’autres événements heureux, mais j’ai voulu seulement raviver les souvenirs de ces événements douloureux, lors de cette période commémorative des mois d’Aout et de septembre. Le premier mois nous rappelle le massacre de Gatumba et le dernier celui de la population Banyamulenge de Bibogobogo. Ces deux mois sont les plus terribles pour moi, à la suite de la mémoire négativement chargée de l’histoire de ma vie qu’ils ravivent.
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