Compassion aux Victimes et/ou Effets de Distance : Matadi Kibala (Kinshasa) & Bule/Djugu (Ituri)

Photos by BreakingItalyNews: https://twitter.com/BreakingItalyNe/status/1489751355426328579

En date du 02 Février 2022 et dans la multitude de ceux-ci, deux drames se sont abattus sur la ville de Kinshasa (marché de Matadi Kibala) et à Bule (territoire de Djugu/Province de l’Ituri). Matadi Kibala se trouve dans la Commune de Mont Ngafula alors Bunia, la capitale de la Province de l’Ituri est distante de Kinshasa de plus de 1800kms (vol d’oiseau). Les deux drames sont presque similaires du fait qu’ils trouvent origine dans l’irresponsabilité étatique de protéger ses citoyens. A Matadi Kibala, une câble haute tension de la Société Nationale de l’Electricité est tombée pour électrocuter 26 personnes mortes immédiatement, dont 24 femmes, 2 hommes et 2 blessés graves. A Bule/Djugu, l’attaque des éléments CODECO (Coopérative pour le Développement du Congo) ont fait au moins 62 victimes dont la majorité de victimes est composée de membres de la communauté Hema qui vivait dans un camp de déplacés établi depuis 2018. En plus de ces victimes mortes par machettes, le drame de Djugu a fait aussi une quarantaine de blessés.

Bien que les deux drames trouvent origine dans l’irresponsabilité de protéger, ils sont (largement) moins similaires en termes de crimes prémédités et dont on peut anticiper. Alors que la communauté Hema a toujours été visée par des tueries tendant à l’exterminer, différents rapports ont confirmé cette tendance de caractère génocidaire depuis les années 2017 à nos jours. Le Bureau Conjoint des Nations Unies de Droits de l’Homme en RDC (BCNUDH, Janvier 2020, p.23, § 81) ainsi que le Président Felix Tshisekedi lors de sa visite en Ituri en Juin 2019 l’ont confirmé. Sans aller dans les discussions profondes autour de cette conception étroite de considérer un projet d’extermination comme étant « une tentative de génocide » ou la formulation telle que «…au moins certains des éléments constitutifs de crime de génocide.», il est clair que l’Etat Congolais, la Monusco ainsi que la communauté internationale connaissent que ce danger existe et persiste.

En plus de tout ce que connait les dirigeants Congolais, la Monusco ainsi que la communauté internationale, la Province d’Ituri a été placée sous l’état de siège en vue d’éradiquer les groupes armés. La protection de civiles et surtout celle de civiles regroupés dans les camps de déplacés aurait été une priorité principale. Pour rappel, ce camp de la Plaine de Savo/Bule abrite autour de 24.000 personnes. Les attaques CODECO contre les sites de déplacés sont une monnaie courante en Ituri, et particulièrement dans le territoire de Djugu. Le plus choquant par rapport à ce danger est que les déplacés, tel que confirmé par plusieurs sources indépendantes, avaient alerter les autorités sur cette attaque qui a finalement eu lieu sans qu’aucune mesure ne soit prise. On pouvait ne pas anticiper qu’un câble haute tension de la SNEL va bientôt tomber sur ces paisibles mamans qui se battaient nuits et jours pour survivre et faire survivre leurs familles, mais personne ne pourrait convaincre que l’attaque de Bule n’était pas prévisible.

C’est vraiment lâche. Même quand on n’a pas (in)volontairement protéger, on peut tout de même compatir avec les familles de victimes. La réflexion de ce blog post est de vous partager comment les politiques ont exprimé leurs amertumes vis-à-vis de ces deux drames.

  1. Drame de Matadi Kibala & Compassion des autorités Congolaises

Le drame de Matadi Kibala s’est produit le matin du 02/02/2022 (certaines sources l’ont confirmé aux environs de 9h). Pour compatir avec les victimes du drame, de multiples messages d’indignation se sont succédé le même jour, certains émanant des officiels Congolais, des hommes et femmes politiques, ainsi que des représentants de missions bilatérales ou multilatérales. « Consterné et triste », la Présidence de la République s’est exprimée d’une manière particulière (aux environs de 12h.00 heure de Kinshasa) en ces termes :

#RDC #DrameMatadiKibala 02.02.2022/ #Kinshasa Le Président de la République a appris avec consternation et tristesse le drame survenu ce matin à Matadi KIBALA et qui a causé la mort de plusieurs compatriotes et fait de nombreux blessés.

En vue de rassurer la population Kinoise, la communication de la Présidence a aussi rappelé (12h.28min) que le Conseil des Ministres du 07.01.2022 avait débattu sur la délocalisation du marché de Matadi Kibala pour désengorger le passage et non prévenir un danger venant de la ligne haute tension. Ces communications ne suffisaient pas au point que les après-midis du 02.02.2022, le Président de la République Felix Antoine Tshisekedi a visité le lieu du drame pour s’enquérir personnellement et comprendre l’origine de ce drame.

Sur son compte personnel Twitter, le Premier Ministre Sama Lukonde s’est exprimé par rapport au drame de Matadi Kibala vers 11h.12min et sa visite sur le site du drame est intervenue aux environs de 12h.49min (selon la communication du ministre de la Communication). Le ministre de la Communication Patrick Muyaya qui est en visite à Goma pour participer au Festival Amani, est arrivé sur le lieu du drame de Matadi Kibala aux environs de 12h.06min accompagné du ministre de la Solidarité Sociale, le Gouverneur de Kinshasa, ainsi que le Général Sylvano Kasonga.

En ces termes, Denise Nyakeru (12h.39min), la Première Dame de la République Démocratique du Congo et Présidente de la Fondation portant son nom s’est indignée par rapport à ce drame :

Des hommes et des femmes, sortis de chez eux pour trouver de quoi vivre, ont plutôt trouvé la mort à la suite des événements tragiques survenus ce matin à Matadi Kibala. Attristée, je compatis avec les familles endeuillées. Puissent leurs âmes reposer en paix !

Par un communiqué officiel, la Cellule de Communication du Président de l’Assemblée Nationale Mboso Nkodia s’est exprimé vers 17h.09min appelant à diligenter une enquête pour déterminer les responsabilités. Au même moment, le communique du Président de l’Assemblée nationale a été retweeté par le compte personnelle de l’Honorable Mboso Nkodia (17h.09min). J’ai recherché en vain la communication du Senat et de son Président l’Honorable Bahati Lukwebo. Kabund est encore en difficulté, on peut le comprendre.

Dans la même suite, les femmes et hommes politiques Congolais(e)s se sont prononcé(e)s pour condamner ce drame qui aurait été prévenu si les autorités avaient pris les précautions nécessaires et à temps. Ils (elles) sont nombreu(se)s, mais je vous citer quelqu’un(e)s : Moise Katumbi (13h.37min) a appelé la SNEL a « …assumer toutes ses responsabilités et renouveler son réseau vétuste & dangereux. ». Jean Pierre Bemba dit avoir « Une pensée pieuse pour nos compatriotes qui ont péri ce matin dans un tragique accident d’électrocution à Kinshasa. » vers 14h.02 min.  Dans un langage exprimant la profonde douleur, le Président Martin Fayulu s’est exprimé vers 12h.42min en ces termes :

J’exprime ma profonde douleur suite à la mort de plusieurs compatriotes, essentiellement des vendeuses du marché Matadi-Kibala, provoquée par la chute d’un câble haute tension de la SNEL. Toute ma compassion aux familles éprouvées. Paix aux âmes des disparus.

Adolphe Muzito (compte non certifié) vers 20h.27min, Madame Olive Lembe Kabila (compte non certifié) s’est exprimé sur le drame de Matadi Kibala aux environs de 11h.26min ; l’Honorable Jeanine Mabunda Lioko (compte non-certifié) vers 13h.11min ; l’Honorable Mushobekwa Marie-Ange (compte non-certifié) vers 11h.01min ; l’Honorable Francine Muyumba vers 11h.23min.

Des ambassadeurs, celui des USA, Mike « Nzita » Hammer (15h.25min), Belgique en RDC (03.02.2022 vers 08h.29min), France en RDC (03.02.2022 vers 09h.25min), Grande Bretagne (03.02.2022 vers 10h.44min), Allemagne en RDC (vers 13h.18min).

Dans la foule, deux Twitter spaces ont été organisés le même soir avec des milliers de participants y compris les hommes politiques. Le Twitter space organisé pour discuter le drame de Bule/Djugu n’avait qu’une vingtaine des participants.  Dans toute cette tristesse et engouement pour compatir avec les familles de victimes, la question àse poser est celle de savoir s’il y a des victimes de deuxième rang « drame secondaire » ou la question est à interpréter comme étant un effet de distance ?

  1. Bule/Djugu : Drame Secondaire ou Victimes de Second Rang ?

Sans toutefois tenir compte du nombre de victimes, le contexte dans lequel les deux drames se sont produits, il semble que les victimes de Bule/Djugu n’ont pas reçu la même attention comme ceux de Matadi Kibala.  La seule communication officielle auquel on a eu accès est le message partagé par le Compte Twitter du ministère de la Communication. Au nom du Gouvernement Congolais, le ministère de la Communication s’est exprimé vers 18h.16min en ces mots

#RDC Le Gouvernement condamne fermement l’incursion meurtrière du site des déplacés situé à Savo (Djugu, Ituri) dans la nuit du 1 au 2/02/2022 par des terroristes CODECO. La vie d’une cinquantaine de nos compatriotes a été fauchée lors de cette attaque stoppée par les @FARDC_off

La communication rassure que le Gouvernement Provincial de l’Ituri a été instruit de prendre en charge tous les frais d’inhumation des victimes, organiser des obsèques dignes ; tout en rassurant les rescapés que tout sera mis en œuvre pour leur protection. En dehors de cette communication du ministère, la Présidence de la République, le bureau de la Première Dame/Fondation Denise Nyakeru, ni la primature ou Sama Lukonde en personne, aucune de ces institutions/structures n’ont ouvertement communiquer sur ce drame de Bule comme c’a été le cas de Matadi Kibala. Je dois aussi rappeler que la raison et le choix d’user un compte personnel du Ministre ou le compte officiel du ministère ne pas tout à fait clair. Pour Matadi Kibala, le Ministre a usé son compte personnel alors que pour Bule/Djugu, la communication est passée par le compte officiel du ministère.

Toutefois, d’autres hommes et femmes politiques ont communiqué sur le drame de Bule/Djugu. Moise Katumbi (14h.32 min) a invité l’audience de ne pas se laisser « …gagner par l’indifférence & la résignation ! Le sang versé de ces innocents ne peut rester impuni ! ». Jean Pierre Bemba s’est exprimé sur ce drame le jour suivant (03.02.2022 vers 10h.58min). Martin Fayulu s’est prononcé sur ce drame le jour suivant (03.02.2022 vers 10h.22 min). D’une manière ferme, Martin Fayulu ne comprend pas comment « des criminels puissent opérer aussi tranquillement sans rencontrer la moindre résistance. [c’est] Révoltant!.” Ce même compte Twitter (non-certifié) de Madame Olive Lembe Kabila s’est aussi prononcée sur le drame de Bule/Djugu (03.02.2022 vers 18h.50 min) mais aussi l’Honorable Francine Muyumba (03.02.2022 vers 16h.20).

La MONUSCO comme premier partenaire du Gouvernement Congolais mais aussi ayant une responsabilité dans la protection des civiles s’est exprimé le même jour. En termes qui semblent prouver que tout a été fait de leur part, vers 13h.37min leur compte Twitter partage le message suivant:

Bintou Keita, Cheffe de la #MONUSCO, condamne avec la plus grande fermeté l’attaque meurtrière d’un site de déplacés à #Savo, hier soir, dans le territoire de Djugu (#Ituri). Les Casques bleus se sont rendus sur place pour stopper les tueries et repousser les assaillants.

Janez Lenarčič (European Commissioner for Crisis Management, in charge of European Civil Protection and Humanitarian Aid. European Emergency Response Coordinator) a condamné ce drame de Bule le même jour vers 18h.13min, l’OCHA l’a fait le 03.02.2022 vers 10h.14min.

L’Ambassade des Etats Unies, au travers l’Ambassadeur Mike Nzita Hammer s’est exprimé, vers 16h.31min en ces morts forts et interpellant :

L meurtre de civils, femmes et enfants innocents & sans défense qui cherchent une aide  humanitaire est impardonnable. Nos pensées vont aux victimes. L auteurs doivent être traduits en justice

L’Ambassade de la Belgique en RDC s’est exprimée en date du 03.02.2022 vers 07h.22min. L’Ambassadeur des Etats Unis en RDC (02.02.2022 vers 16h.31min) et l’Ambassade de la Grande Bretagne à travers l’Ambassadeur Emily Maltman, s’est exprimée le 03.02.2022 vers 10h.40min.

  1. Comment peut-on expliquer cette indifférence/choix de priorités ?

Ce qui préoccupe les uns ne peut nécessairement pas constituer une préoccupation pour les autres. Un article qui publie d’intox sur la Balkanisation du Congo ne devrait laisser toutes les Ambassades de l’Union Européenne en RDC indiffèrent. Elles doivent inévitablement communiquer pour fixer l’opinion tant nationale qu’internationale sur ces intox. Nous pouvons croire que c’est une affaire mineure, alors que cela entache leurs missions. On ne reprocherait de rien car elles ont toutes condamné les deux drames.

On peut enfin comprendre qu’avant l’inhumation de toutes ces victimes, des officiels prennent le courage de faire de selfies mais aussi nous appeler à suivre les rétrospectives de réalisations faites en 2021. L’attention et le souci de politiques vis-à-vis de certaines victimes peuvent aussi expliquer pourquoi les corps de victimes sont transportées dans de conditions indignes pour enfin être enterrées dans les fosses communes ? C’est tout un débat.

Pour le cas spécifique de Bule/Djugu, des multiples questions viennent à l’esprit pour comprendre les raisons derrières cette forme d’indifférence. Alors qu’il est difficile de vérifier les genres d’instructions qui avaient été données aux autorités militaires de la Province de l’Ituri, des informations sures affirment que ni le Gouverneur militaire, son Adjoint, son gouvernement provincial ni même l’Administrateur du Territoire de Djugu, personne n’a pu participer aux obsèques de victimes de Bule. On peut peut-être comprendre qu’il est facile de voyager de Kinshasa vers Goma plutôt que Bunia pour ensuite aller à Djugu. Toutefois, il est difficile de comprendre pourquoi les autorités militaires de l’Ituri ne pouvaient pas se déplacer vers le lieu du drame pour honorer la mémoire de victimes ; à moins que cela est interdit par les instructions de l’état de siège.

A tous ces questionnements sans réponses, la grande inquiétude reste l’avenir et la sécurité de ces déplacés qui font toujours face à ce complot d’extermination mais aussi d’autres groupes vulnérables qui sont aussi visés par ce genre des complots. La protection de civiles ne devra-t-elle constituer la priorité des gouvernants avant qu’on engage de débats sur les messages de compassion envers les familles de victimes. Quelle est la garantie que ces genres de drames ne se répéteront pas dans l’avenir alors que les mêmes scenarios ont eu lieu dans le passé. Et qui est responsable et à qui revient cette obligation de protéger?

NTANYOMA R. Delphin

PhD Researcher in Conflict Economics

The Institute of Social Studies/

Erasmus University Rotterdam

Twitter: https://twitter.com/Delphino12

Blog: www.easterncongotribune.com

About admin 445 Articles
PhD & Visiting researcher @POLISatLeeds, proud of being a "villageois". My interest: Peace, conflict, Genocide Studies, Minority ethnic groups, DRC, African Great Lakes region. Congolese, blogger & advocate #Justice4All in #DRC.

Be the first to comment

Leave a Reply

Your email address will not be published.


*


This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.