Felix Tshisekedi Tshilombo: Projet de Socièté, Discours d’Investiture ou Programme politique ‘Pro-Pauvres’?

A quelque 4 mois des élections apparemment non-certaines en République Démocratique du Congo (RDC), tous les partis politiques se bousculent pour convaincre l’électorat. Ces élections générales (parlementaires et présidentielles) se tiendront sur un territoire presque égal à 2.5 milliards de Km2, elles exigent une capacité organisationnelle et financière n’étant pas à la portée de n’importe quel pays. Dans un pays sans infrastructures de base comme routes ; et dont le financement en entier pourra dépendre de fonds de la République, les défis restent énormes pour affirmer que celles-ci ne connaitront pas de petits reports. L’utilisation de la machine à voter dans un contexte où l’électricité était un casse-tête ne facilitera pas la tâche aux organisateurs. L’élément moins stupéfiant est que tout le monde veut occuper ces postes admirés mais plus spécialement la haute fonction du pays.

Bien que la liste définitive ne soit pas encore communiquée par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), 25 candidats Présidents ont déposé leurs dossiers. Ces candidats présidents tentent par tous les moyens possibles à nous convaincre–confondre–contraindre en vue de nous rallier derrière eux. Parmi les candidats de poids, Felix Tshisekedi Tshilombo a présenté son programme politique la semaine passée. Ce dernier est le Président National de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS). En plus, il est le fils biologique du Feu Etienne Tshisekedi wa Mulumba, l’opposant farouche au régime de Mobutu depuis les années 80 et fondateur de ce parti. L’héritage du Feu Etienne reste un pilier important dans la lutte pour l’établissement de la démocratie. Sa détermination a aussi contribué à briser la peur devant le mythe du Maréchal Mobutu. Le parcours de l’UDPS et de son ‘fondateur’ n’a pas été sans embûches au point que ce parti est divisé en plusieurs ‘ailes’. L’un des anciens membres influents de l’UDPS, Samy Badibanga Ntita, originaire du Kasaï, ancien Premier Ministre est aussi candidat à la présidence.

Cet article retrace le contenu du programme politique de l’UDPS présenté par son président national. Ce programme contenu dans un document de 40 pages suscite d’intérêt du fait que l’UDPS est parmi les « grandes » organisations politiques en RD Congo. Aux côtés des anciens partis comme le PALU, l’UDPS occuperait la position ainée des organisations qui existent pendant au moins 40 ans. Cette analyse est personnelle et est basée sur un document qui pourra être améliorer au fil de temps. Toutefois, mes observations pourront contribuer dans ce sens mais aussi apporter sa contribution (peut-être pas importante) pour d’autres acteurs politiques. Je comprends bien que cette culture de fonder nos choix de vote sur des bases idéologiques n’est pas encore encrée dans nos agissements réguliers, mais son amélioration–établissement ne passeront que par son renforcement―critique constructive.

Ce programme présente des aspects plus intéressants qui ressemblent à des innovations. Il décrit la situation actuelle « comparable à un avion en voie d’at­terrissage sous un temps orageux ». Il s’agit d’une reconnaissance comme quoi le contexte actuel présente d’incertitudes majeures qui exigent qu’on y aille avec sérénité. Le programme se veut ‘pro-pauvre’ en insistant sur la redistribution équitable de richesses ; et le peuple est au centre de développement comme l’un de ses trois piliers. La diaspora occupera une place importante dans le développement du pays avec possibilité de défendre leurs statuts par principe de réciprocité. Comme facteur principal de croissance économique, les Congolais de l’Etrangers pourront jouir de leurs droits de vote comme tant d’autres. En plus de la croissance économique comme deuxième pilier, la cohésion sociale constitue une priorité.

Dans les dix années à venir, l’UDPS aux commandes veut dépolitiser l’administration publique, la société civile ainsi que les forces de sécurité. Sans que le programme convainque moins sur les raisons derrière un programme de dix années, il semble que le parti veut anticiper les probables élections de 2023. L’UDPS promet que des postes occupés par des étrangers au sein des Orga­nismes internationaux et régionaux opérant en RDC, sur base de critères de mérite, reviendront aux nationaux.

Dans le domaine de Défense nationale, Felix Tshilombo une fois élu concentrera ses efforts sur la protection de l’intégrité territoriale et de la protection de ses citoyens. Avec d’indications moins claires pour convaincre l’opinion, le plan « Une Nation, une Armée » sera élaborée. Elle se basera sur les six attitudes stratégiques : connaître, prévenir, anticiper, dissuader, protéger et si le devoir l’impose, intervenir ». Ces « attitudes stratégiques » restent le fondement de toutes les armées qui se veulent professionnelles. L’UDPS propose une armée constituée de jeunes femmes et hommes allant à 1% de la population nationale. En termes numérique, cet effectif tournera autour de 800.000 militaires. De la réhabilitation de centres de formations à la discipline de militaires, l’UDPS mettra en place des forces spéciales de lutte contre le terrorisme et pillages de ressources naturelles. La lutte contre toute forme d’indiscipline au sein de forces de sécurité et particulièrement au sein de services de renseignement constituera une priorité. L’une de piste pour ramener la discipline au sein de services de renseignement est la fermeture de cachots et prisons illégaux pour protéger ses concitoyens contre toute bavure.

Ces « innovations » garantissent pour convaincre l’opinion et donneraient la chance de gagner les deux mandats ? A mon avis, il y a encore quelques zones qui méritent d’éclaircissement.

En lisant ce document, une confusion persiste en moi entre projet de société et un programme politique. Il me semble qu’un projet de société comme vision s’étend sur le long terme (dizaine d’années) alors qu’un programme politique représente certaines priorités de celui-ci pour une période relativement courte (un mandat électoral). Pour ce faire, un programme politique devrait ressortir ces priorités et assurer (preuve à l’appui) que ces dernières seront réalisées. J’insiste sur la mobilisation de ressources financières suffisantes pour financer ces projets et l’allocation du budget sur base de ces priorités faciliteraient la compréhension―conviction. De fois, ma lecture tende à confondre ce projet à un discours inaugural ou du moins un « wish list ». A un certain moment, je me rappellerais que la référence à de tels documents est souvent rare dans l’exercice politique de nos acteurs.

Si l’UDPS remporte les élections, il mettra en place un gouvernement dit ‘volontariste’. Le terme volontariste qui revient 4 fois dans ce document confond le lecteur. On comprendrait difficilement quelles sont les actions, les reformes et le sens d’un gouvernement des ‘volontaristes’. D’une manière particulière, la notion de la « sous-traitance du domaine de la sécurité et défense par l’étranger » reste quelque part floue. A mon entendement, le programme politique de l’UDPS devrait éclaircir ce qu’il entend par la mise en place d’un gouvernement « volontariste et dis­posant d’une vision claire dans sa politique en matière de défense et sécu­rité de ne plus sous-traiter par l’étranger ce secteur régalien ». Mes spéculations vont dans différentes directions, mais il serait important que cette notion soit clarifiée.

Alors que ce programme propose de reformes (le mode de recrutement, les vivres, les soldes, la formation … les conditions de casernement des militaires) pour imposer la discipline au sein de forces de sécurité, le budget à allouer à ce secteur clé de la sécurité―défense n’est pas mentionné. A titre d’exemple, les conditions de casernement impliquent les constructions majeures de camps militaires. Ces constructions engageront de coûts majeurs dont on aurait besoin de s’assurer sur leur faisabilité. Par conséquent, le lecteur et l’électorat évalueront difficilement les réalisations quinquennales de l’UDPS. Dans le domaine du service de renseignement, ce programme suggère des reformes approfondies. Sauf la « fermeture des cachots et autres endroits de déten­tions illégales’, le programme politique de l’UDPS précise moins d’autres reformes dites approfondies de services de renseignement.

Dans le domaine de la Décentralisation et Bonne Gouvernance, l’UDPS propose « réé­crire la loi sur la programmation du découpage territorial ». En plus de cela, ce programme annonce la restructuration des entités décentralisées. La seule raison évoque dans ce document (si ma lecture est bonne) est la précipitation dans laquelle ce processus s’est déroulé. Il me parait que l’UDPS aurait mieux convaincu le lecteur en présentant les grandes failles et défis dans le processus de la décentralisation ainsi que les propositions y relatives. Il y a de défis autour de ce processus qui vont dans la mise en place d’infrastructures de base au challenge de la retenue à la source de 40% de ressources locales/provinciales. Ces défis peuvent aller aussi dans le cadre juridique entourant ce processus.

Dans le cadre de la Fonction Publique, multiples questions se soulèvent en lisant ce document. Alors que la réforme et le rajeunissement de la fonction publique traine depuis plus d’une décennie, le programme politique de l’UDPS promet que des mesures adéquates seront adoptées pour restructurer et dépolitiser la fonction publique. Ces mesures concerneront entre autres : « le cadre organique, le recensement des effectifs et le statut de ses Agents…. Rémunération et conditions de travail dont l’usage de la technologie de l’information ». Tout en donnant du crédit aux propositions de l’UDPS, il est important de rappeler que la rémunération, l’amélioration des conditions de travail impliquant les « nouvelles technologies » exigent un budget lourd dont le lecteur aurait besoin de s’en assurer son estimation. La prudence exigerait de présenter de priorités pour les cinq premières années car le secteur public est large. J’aurais préféré voir la manière dont l’UDPS compte résoudre les problèmes de pension et de la sécurité sociale des agents retraités car c’est le socle du débat autour du rajeunissement de l’administration publique.

La même observation peut s’appliquer sur les reformes proposées dans le domaine de la justice. Hormis la réécriture de « la loi sur l’organisation et le fonctionnement du Conseil Supérieur de la Magistrature », des propositions concrètes échappent quant aux politiques ainsi que le budget de construction et réhabilitation des prisons (à titre d’exemple). L’UDPS se propose de débarrasser du secteur de la justice des « anti-valeurs comme favoritisme, tribalisme, lenteur administrative… » sans mentionner clairement les actions pratiques à prendre ainsi que le budget y relatif (même en termes de pourcentage). Ensuite, il est difficile de déterminer les prisons prioritaires qui seront construites ou réhabilitées et pourquoi. Une fois aux commandes, sont-ils à mesure de construire et réhabiliter toutes les prisons du pays ? Combien on en a besoin ?

Route Goma-Masisi

Alors que le conflit à l’Est du Congo revêt un aspect de sécurité interne, il est réduit dans le domaine de la Diplomatie et Relations Extérieures. Le conflit entre les communautés à l’est du Congo nécessite un entendement de ces causes profondes. Ce conflit et plus spécifiquement ses causes lointaines et immédiates me semblent abrégés dans ce document. Ces causes ne sont pas encore identifiées et par conséquent, il faudra attendre ce moment précieux pour en étudier les contours ? Mon attente était que ce grand parti aurait déjà fait un diagnostic profond au point de présenter les pistes de solutions pour stabiliser l’Est du pays. Le dialogue―diplomatie entre Etats devrait couvrir tous les pays voisins avec un accent mis aux pays cités. Le dialogue « du type vérité et réconciliation » devrait être clairement présenté. Ces commissions « Vérité – Réconciliation » vont-elles travailler avec celles du Burundi, Rwanda et Ouganda ?

La croissance économique et la lutte contre la pauvreté m’avait fort intéressée. Le « programme politique propose l’amélioration du climat des affaires. Avec ce choix moins justifié, le programme suggère la fusion de l’Agence Nationale pour la Promotion de l’Industrie (ANAPI) et celle de l’instance chargé  de la gestion du Code des Investissements existant au ministère du plan. Les missions du Comité de Pilotage et de Réforme des Entreprises du Portefeuille (COPIREP) seront repensées, comment et pourquoi ? La réponse m’a échappé.

Ce programme est intéressant car soulignant en bold que « Mon Programme est ambitieux. Nous voulons Vaincre la Pauvreté. C’est La Grande Cause Nationale ». La pauvreté doit constituer une priorité et une cause nationale. Toutefois, cette lutte contre la pauvreté doit se baser sur les statistiques fiables du taux de pauvreté, d’inégalité, accès à l’eau, énergie ou électricité, les conditions de l’habitat, santé et protection sociale… Ces statistiques n’existent probablement pas mais il y a certainement quelques indications. Ce document ne fait même pas référence à ces statistiques moins fiables pour nous prouver l’ampleur du travail attendu au nouveau locataire du Palais de la Nation. Même avec une croissance impensable de 25% par an (avec un budget estimatif de 87 Milliards de $ pour 10 ans), il est nécessaire de baser les reformes (sauf le cas d’urgence) a des données statistiques fiables. Ces dernières permettront de bien mesurer les pas à franchir et ceux franchi.

Pour réduire la pauvreté, il ne suffit pas seulement d’utiliser le discours d’Etienne comme quoi « Le peuple d’abord ». Il ne suffit pas non plus de promettre « des politiques publiques adéquates pour assurer une redistribution équitable et inclusive de la richesse nationale ainsi produite » sans en mentionner leur pertinence. L’adéquation entre les politiques publiques et les réalités socio-économiques et politiques devrait ressortir clairement dans nos prévisions. Avec 17 paragraphes commençant par ‘Imaginons’ et plusieurs autres promettant que « nous allons faire ceci-cela », ces promesses non-chiffrées peuvent revêtir une forme de rêves. La politique de santé pour tous, le système d’Assurance Maladie Universelle, les ambitions de « Silicon Valley », l’éducation pour tous… exigent qu’on pense à la faisabilité et à la limite des moyens disponibles ; et cela en vue d’éviter de promettre un paradis irréalisable. Pour que les jeunes Médecins et personnel de sante acceptent de s’installer dans l’arrière-pays, il y a de préalables qui sont l’existence des hôpitaux. L’accès aux crédits bancaires exigerait que le système bancaire soit implanté dans l’arrière-pays.

Dans le domaine économique, le programme est ambitieux au point de ne plus y croire. Avec toute la liste de réformes proposées, allant d’assainissement de finances publiques, redynamisation des Régies financières, la réorganisation de la Banque centrale, la mise en place d’un Plan Stratégique de Pôles de Développe­ment Économique, promotion du commerce et de PMEs en passant par la restructuration du Secteur Bancaire, le choix de ces reformes ainsi que les propositions pratiques peuvent échapper aux lecteurs. Les propositions concrètes en rapport avec le « plan directeur d’industrialisation de la RDC, la redynamisation de l’agriculture, la promotion du paysannat au travers la mise en place d’infrastructures de transport et de communication, des routes, des rails, des voies fluviales et lacustres, des ports et aéroports, de la téléphonie, des télécom­munications ne sont clairement pas ressorties.

L’électorat a besoin de savoir si la route numéro 1 constitue une priorité pour l’UDPS et les raisons derrières. La réhabilitation de l’aéroport X au lieu de Z ne confond jamais l’électorat si les motivations derrières sont objectives. Le choix de construction d’un port sur le lac Tanganyika peut convaincre car peut-être pourra réduire le cout d’approvisionnement des marchandises au Tanganyika, Sud-Kivu, Nord-Kivu et Maniema. Devant les priorités qui sont innombrables, les choix doivent être judicieux, cohérents mais réalisables. Voilà ce qui donnerait la différence entre un projet de société d’un parti politique et son programme politique.

 

NTANYOMA R. Delphin

PhD Researcher in Conflict Economics

The Institute of Social Studies/

Erasmus University Rotterdam

Twitter: https://twitter.com/Delphino12

Blog: www.easterncongotribune.com

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PhD & Visiting researcher @POLISatLeeds, proud of being a "villageois". My interest: Peace, conflict, Genocide Studies, Minority ethnic groups, DRC, African Great Lakes region. Congolese, blogger & advocate #Justice4All in #DRC.

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