Retour de Premiers Occupants : La Voix de Bazoba Pourrait Sauver le Territoire de Fizi de ses ‘Conflits d’Autochtonie’?

Par coïncidence, de retour de Fizi-Misisi, je rencontre un mini-bus avec une banderole où une mention est lisible : « Conférence de la Jeunesse Intellectuelle Bazoba… ». Ça attira mon attention. Le lendemain, on me partage une audio dans laquelle on reporte que 101 jeunes de la communauté Bazoba se sont réunis à Mboko en date du 13 Avril 2019 pour discuter de plusieurs points à l’ordre du jour. La réunion avait été présidé par Sumbya Martin Makwaruzo, qui est le président territorial de de cette communauté à Fizi. Sur l’agenda du jour, comme le rapporte le journaliste, la réunion devait rappeler qui est Muzoba[1] ? et quel est l’état de lieu des activités qui étaient prévues pour l’exercice 2017-2018.

Declaration de Christophe Bisimwa: https://www.dropbox.com/s/pl00ungxp69b1ra/Wabwari2_French.mp3?dl=0 

Selon Christophe Bisimwa, le Secrétaire du Comité de Sages Bajoba du Secteur de Tanganyika, ces derniers sont à la recherche de leurs membres « égarés » dans le Territoires d’Uvira et Fizi. Cet objectif est l’une de priorités assignées aux membres de cette structure depuis l’année 2017-18. Alors qu’ils sont considérés comme des premiers occupants du territoire de Fizi, Christophe rappelle que les Bazoba est une communauté constituée des clans Bavira, Babuyu, Bagoma, Masandje, BabwariLa présence et la voix de Bazoba me ramenant à l’idée que j’avais timidement évoqué dans mon blog post sur les Babembe.

Mon blog semblait mettre en question cette notion dont s’approprie les membres de certaines communautés ; comme quoi ils ont été les premiers à vivre sur ce sol, dit ancestral. A titre illustratif, l’un de siteweb parlant de Fizi-Itombwe stipule « Au temps de formations de familles, de clans, de tribus et de nations, Fizi s’est vu habité par un peuple nommé M’BEMBE ». Vrai ou faux ? Consultez ici: https://fizi-itombwe.org/  

Region de Fizi

Alors, pour mieux comprendre ce qu’exprimait Chritophe Bisimwa, le Bloggeur a pu mettre ensemble quelques éléments qui tendent à affirmer que les Bazoba sont parmi les premiers occupants de Fizi. La contribution de cet article est d’indiquer aux lecteurs que la notion d’autochtonie est totalement une construction sociale dont son détenteur ne voudra jamais qu’on ouvre l’intérieur de cette boite. De plus, il est facile de comprendre que ceux-là qui voulant imposer cette vue d’autochtonie le feront pour de raisons de dissimuler une réalité qui mettrait eux et les autres sur une même échelle d’établissement. Enfin, l’histoire d’établissement dans l’Est du Congo a fait l’objet de disputes qui ont endeuillé cette partie du territoire RDC. La « vérité » autour de ces constructions sociales peut dénouer les crises et atténuer ces positions extrêmes dont on prenne souvent sur base d’informations réfutables. Telle est la contribution de cet article autour de premiers occupants du Territoire de Fizi qui n’ont pas eu la chance d’accéder aux pouvoirs locaux durant la période coloniale ; et enfin avoir tendance à se faufiler dans les « communautés fortes » ; une interprétation personnelle qu’on peut lire dans d ;autres expériences.

  1. Qui sont alors le Bazoba-Masandje ?

Les informations contenues dans cet article sont en grande partie tirées dans Willemart (1935)[2] ; Moeller (1936)[3] ; Biebuyck (1962)[4]. L’ensemble de ces auteurs affirment que les Basandje sont les premiers occupants du territoire de Fizi ; bien qu’ils étaient basés tout autour du lac Tanganyika ; comme de riverains ou pêcheurs. D’une manière particulière, Moeller (1936 :45) affirme que vers 1650, seuls les Basandje ou Bazoba habitaient la région actuelle de Fizi. Pour Moeller, Basandje ou Bazoba sont interchangeables allant dans le sens d’affirmer qu’il s’agirait soit d’un sous-groupe dans un grand ensemble comme l’affirme Bisimwa. Selon WIllemart et Moeller, Bazoba serait venu de l’Ouest vers l’Est (hypothèse qui peut faire l’objet de débat) ou soit de l’Est, en provenance de l’autre côté du Lac Tanganyika. Leur origine à ce niveau serait pas du tout importante ; l’essentiel est de leur reconnaitre ce droit de premiers occupants ; aux cotés de Pygmées. La présence de Bazoba contesterait la présence de Babembe comme premiers occupants ? En partie oui.

Les « Babembe » que nous connaissons actuellement ne se sont installés qu’a Fizi vers les années 1800. La construction sociale autour de cet éponyme voudrait dire que toutes les communautés vivant ce territoire seraient de « Babembe » car le mot signifierait simplement « le gens de l’Est » par rapport au Maniema. Maniema serait le point de départ de l’appellation de ces communautés hétérogènes qu’on considérait comme celles vivant à l’Est de leur région (Moeller 1936 :45). Les dits « Babembe » se seraient installés à Fizi-Itombwe dans une migration à plusieurs vagues. Ces vagues prouveraient qu’ils n’ont rien de commun comme ancêtre. Moeller l’affirme dans le mot suivant : « On voit qu’il ne peut être question de rapporter les Babembe a un ancêtre commun. Nous sommes en présence de groupements sans interdépendance, fractions de groupements plus étendus, Warega ou pre-Warega » (Moeller 1936 :47). Donc, on a faire à un regroupement qui s’est constitué autour d’un choix à caractère social mais aussi l’organisation politique.    

Dans un même ordre d’idée, Biebuyck (1962 :9) croit que les « Babembe sont subdivisés en patri-clans, qui forment de vastes unités dispersées, non-exogamiques, non-totémiques et composites, qui ont un nom spécifique (par exemple les Babungwe, les Basi’m’muna) ». Leur structure sociale repose sur une généalogie longue allant à 12 générations. Ces Babungwe constituent la grande majorité (en termes numérique) de Babembe, selon Biebuyck (1962 :9). Moeller (1936 :46), stipule que les Babungwe se seraient installés dans le Fizi-Itombwe vers 1770. En plus de Bazoba/Masandje, les Babungwe, Basimukuma, Mbalala et Basimuniaka ont retrouvé dans Fizi les Basikalangwa, Basimukinje… qui les ont précédés plus ou moins 130 ans avant.  Ce qui veut dire que, la plus grande majorite de Babembe ont retrouvee les Bazoba (Basoba) sur ce territoire qui deviendra enfin Kalembelembe. 

Massif de Mitumba

Affirmant la préexistence d’autres groupes ethniques, Biebuyck considère trois communautés qui ont précédé les « Babembe ». Comme il l’indique, « Des clans, venus du pays Lega [Babembe], se sont implantés au milieu de divers groupes préexistants », dont les Bambuti ; groupes d’origine Luba-Hemba ; ainsi que le vaste groupe de « Bainyéndu-Basi’m’minje”[5] (Biebuyck (1962 :8). Les Bambuti seraient d’origine pygmoïde alors que les groupes d’origine Luba-Hemba sont ces occupants dits Bazoba/Masandje. Ces derniers ont une affinité vraisemblable avec les Babuyu de Maniema. A ce titre, Moeller (1936 🙂 suppose que même le Basikalangwa qui se seraient installés dans leTerritoire de Fizi vers 1650 ont retrouvé les Basandje au Lac Tanganyika.

Ayant d’affinités généalogiques avec le Babuyu, il sied de souligner que ces derniers sont aussi cités comme étant parmi les premiers occupants de la partie Maniema à proximité de Fizi. D’ailleurs, la partie Basikalangwa du groupe Mulenge qui avait emprunté l’itinéraire Lwama et Kaama ont aussi rencontré les Babuye qui y vivaient (Moeller 1936 :46). Alors que ce terrioire Babuye faisant partie de Fizi/Kalembelembe, c’est vers 1917 que cette partie sous la direction de Babuye s’est vu rattacher au Maniema. Toutefois, cette partie qui a été rattachée au Maniema était organisée en Chefferies contrairement au reste du Territoire de Fizi ; semble-t-il, n’a jamais connu une forme de chefferie bien structurée.

Moeller (1936 :11) affirme ensuite en termes clairs que « Les Babembe, les ≪ gens de l ’Est ≫, sont le prolongement des Warega, jusqu’aux rives du lac Tanganika, où les ont précédés, venant du Sud, les riverains Basandje qui ont établi des relations avec la rive Est du lac, grace au rétrécissement de celui-ci à hauteur de la presqu’ile de l’Ubware. » De cette affirmation à laquelle Biebuyck joint sa voix, le lecteur pourra comprendre que les échelons d’établissement dans le territoire de Fizi laisseraient la chance aux Babembe d’occuper une troisième place. La question serait de savoir pourquoi les premiers occupants n’ont pas toujours eu leurs voix haussées pour contester les ‘nouveaux-venus’ ? Par hypothèse, on peut croire qu’exercent le pouvoir au niveau local, sur bénédiction de l’administration coloniale, pourrait avoir d’impact sur le choix et « suprématie » d’une communauté. Cela peut probablement expliquer pourquoi les premiers occupants de Fizi se seraient éparpillés―faufilées dans les communautés fortes.

  1. Des Collectivités-Chefferies vis-à-vis de Collectivités-Secteurs

En dehors de ce que relatent ces auteurs ci-haut cités, on peut analyser la notion d’autochtonie de Fizi à travers la gestion de pouvoirs locaux. Contrairement aux autres territoires proches (à l’instar d’Uvira et la grande partie de Mwenga), le Territoire de Fizi et Itombwe en particulier connaissent une forme de gestion locale dite « Collectivité-Secteurs » ; alors que les autres ont une forme dite « collectivité-chefferie ». La différence probable peut se situer dans la distinction faite par Pourtier (1989)[6] par rapport aux deux notions. L’auteur distingue deux formes d’entités ayant été créées par le pouvoir colonial vers 1910 ; et ayant pour différence l’homogénéité d’unités sociologiques par rapport aux unités hétérogènes. Il souligne la différence entre Chefferies et Secteurs où « les premières [Chefferies] consistant en ensembles homogènes dirigés par un chef coutumier [alors que] les seconds [Secteurs] rassemblant des éléments hétéroclites de plusieurs communautés traditionnelles incapables de s’administrer par elles-mêmes et dirigées par conséquent par des chefs nommés par administration [coloniale] »

Collectivite-Secteurs de Fizi

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A partir de cette grande nuance, on peut comprendre que Fizi avait difficilement été considéré comme une entité composée de groupes et communautés homogènes. En plus de cela, on peut interpréter que la notion du pouvoir dans le Fizi-Itombwe est possiblement récente par rapport à d’autres institutions de la région du Sud-Kivu. Pour précision, en plus de la collectivité-Secteur d’Itombwe (territoire de Mwenga), le territoire de Fizi est subdivisé en 4 collectivités qui sont toutes de « Secteurs ». Il s’agit de Tanganyika, Ngandja, Mutambala et Lulenge. Le choix de l’administration coloniale de définir―créer ces entités non pas comme de chefferies peut entrer dans cette logique comme quoi les colons avaient réalisé qu’il y avait moins d’éléments convainquant pour confirmer que les détenteurs de pouvoir étaient organisés et avaient d’assises fortes. Et d’ailleurs, partant du document de Willemart (1935 :3), le Poste de Kalembelembe qui deviendra enfin le Territoire de Fizi a été créé en 1900 par Foebel. Foebel fut le Chef de Secteur partant de la rivière Mutambala jusqu’à la rivière Lwama.  

Après une succession de plusieurs chefs de Poste, « administrateurs coloniaux » ; et c’est vers 1907 qu’un premier chef Babembe est reconnu par l’administration coloniale. Il s’agit de Bilangetti, dirigeant la localité de Milingita dans le Secteur Baraka (allant jusqu’à la Mutambala). Vers 1908, le Chef de Secteur Kalembelembe, Blomme a pour chefs investis Kalembelembe, Ngalula, Mulenge, Risasi et Kiloso. D’autre part, le Secteur de Baraka propose Lisasi et Mokuku ; et enfin Mwezi, Sibatwa, Mboko, Kabonga, et Sumairi pour leur investiture. Ils sont tous investis en 1909. Cette liste de chefs devient de plus en plus grande par rapport à l’organisation de la population locale.

C’est exactement vers 1922 que Fizi ait eu la configuration similaire à celle dont on connait aujourd’hui. C’est A.T. Breuer qui organisa Kalembelembe sur base de clans qui s’apparente aux Collectivités-Secteurs. A titre illustratif, cette organisation conduit à des regroupements de clans suivant : Mbalala (autour du chef Sibatwa), Basimuniaka (autour du chef Sumaeli), Basimukuma (autour du chef Mboko), et Babungwe (autour du chef Mwezi). La suite d’événements et l’interférence de l’administration coloniale prouve que ces chefs pouvaient être dissouts ou remplacés selon la volonté coloniale.

Donc, la gestion du Territoire de Fizi en collectivités-Secteurs peuvent être une indication de l’arbitraire colonial n’ayant pas tenu des mêmes paramètres pour reconnaitre les pouvoirs locaux. Il est tout de même curieux de savoir si les premiers occupants n’avaient pas une certaine organisation sociale au point que les colons devaient déterminer les modalités d’accession aux pouvoirs. Si les premiers occupants n’avaient pas été bien organisés et structurés, il aurait fallu que l’administration coloniale tienne compte de ce paramètre en vue promouvoir l’équipe ; bien que cela n’était pas leur mission primaire.

Peut-on supposer que si le Bazoba et Pygmées avaient eu ces prérogatives d’administrer le Territoire de Fizi comme premiers occupants, cela aurait eu un impact positif sur le devenir de ce territoire ? Je ne serais pas affirmatif mais je crois qu’on ne serait pas entrain de rechercher les Bazoba―Masandje aujourd’hui. En plus de cela, après cette lecture, je tends à penser que le Territoire de Fizi est en partie victime de la machination de ceux-là qui veulent à tout prix en vue de prouver qu’ils sont plus anciens que la création du Monde. Pour ce faire, la voix de Bazoba―Masandje est déterminante pour prouver que la notion d’autochtonie peut faire l’objet d’abus et de manipulation pour de fins politiques. Vous pensez peut être autrement ?  

 

NTANYOMA R. Delphin

PhD Researcher in Conflict Economics

The Institute of Social Studies/

Erasmus University Rotterdam

Twitter: https://twitter.com/Delphino12

Blog: www.easterncongotribune.com

[1] Bazoba, de fois nous les appelions Bajoba dont personnellement, avant de lire Moeller (1936), je croyais qu’il s’agit d’une appellation péjorative qui pourraient indiquer un groupe de personnes au statut social non enviable.   

[2] Biebuyck Daniel (1962) ,« Les Mitamba : Système de Mariages Enchaînés  chez les Babembe». Accessible sur : www.kaowarsom.be/documents/MEMOIRES_VERHANDELINGEN/Sciences_morales_politique/Hum.Sc.(NS)_T.XXVII,2_BIEBUYCK%20D._Les%20Mitamba_1962.pdf

[3] Moeller (1936), « Les Grandes Lignes Des Migrations de Bantous de la Province Orientale du Congo Belge »… accessible sur :

http://www.kaowarsom.be/documents/MEMOIRES_VERHANDELINGEN/Sciences_morales_politique/Hum.Sc.(IRCB)_T.VI,_MOELLER%20A._Les%20grandes%20lignes%20des%20migrations%20des%20bantous_1936.pdf

[4] Willemart (1935), “Historique du Territoire de Babembe: Territoire de Kamembemembe [Kalembelembe]”. Accessible sur : http://ufdc.ufl.edu/AA00001882/00001. Willemart fut l’Administrateur Territorial de ce qui deviendra Fizi ; jadis appelé Kalembelembe. Ses informations auraient largement été reproduites par Moeller (1936).   

[5] Bainyéndu-Basi’m’minje serait probablement les Banyindu et les Basimukinje.

[6] Pourtier, Roland (1989), “Les États et le contrôle territorial en Afrique centrale : principes et pratiques ” In : Annales de Géographie, t.98, n°547, 1989. pp. 286-301

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PhD & Visiting researcher @POLISatLeeds. Interest: Microeconomic Analysis of Violent Conflict, Genocide Studies and violence targeting minority groups. Congolese, blogger advocating for Equitable Redistribution of Ressources & national wealth as well as & #Justice4All #DRC. On top of that, I'm proud of being a "villageois"

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