Chefferies Babembe & Banyamulenge en Question?

Depuis quelques temps la question de migration, d’établissement et chefferies traditionnelles au sud du Sud-Kivu prend une tournure qui pourra tout remettre en cause. Elle est actuellement un débat à la une depuis les assises intra-communautaires qui s’organisent pour trouver des solutions de la violence dans le Haut Plateau d’Uvira-Fizi-Itombwe et plus précisément à Minembwe. Les premières assises ont été organisées à Kinshasa en date du 13-15 Février 2020 et regroupaient les membres de la communauté « Banyamulenge ». Celles de la communauté dite « Babembe » ont commencé hier et prendront fin dans trois jours (du 03-05/03/2020). Il serait qu’enfin les autres assises suivront dont les Bavira, Bafuliro et Banyindu, selon les sources en provenance du Mécanisme National de Suivi de l’Accord Cadre d’Addis Abeba, principal organisateur. La question est de savoir si le Babuyu, Bazoba, Masanze ou même Batwa auront cette chance de s’exprimer sur les questions de la vie et de mort dont ils sont aussi victimes ou acteurs.

Le nœud du débat dans toutes ces discussions interminables ramène l’épineuse question nous lègue par les colonisateurs. Il s’agit de s’approprier la notion de savoir qui “sont les premiers occupants de ce territoire incluant Itombwe, Uvira et Fizi” ? Ce débat prendra une tournure plus aiguée car la déclaration de la communauté Banyamulenge a exigé la révision des espaces qui ont constitué les chefferies traditionnelles actuelles. Dans leur déclaration, ils ont exigé la reconstitution des chefferies du « 06 octobre 1891, le 03 juin 1906 et le 02 mai 1910 supprimées par un décret colonial injuste du 05 décembre 1933 du Ministre L. FRANC » ; et qui appartenaient dans le temps à cette communauté.

C’est dans ce cadre que Dr Philbert Bilombele B.A (Hon) a réagi dans un long article qui semble réfuter l’existence de ces chefferies Banyamulenge (voulez-vous consulter l’article Philebert Bilomebele , cliquez CE LIEN: BILOMBELE). Toutefois, entre les lignes, il s’agirait d’une approche de redonner la force à l’existence de « Babembe » ainsi qu’un essai de reconfectionner ces « trous » qui tendent à remettre en cause l’existence de cette communauté (ethnie soit-elle) comme une unité homogène. Le long discours de Philbert, se contredisant dans certains propos, vise enfin s’opposer aux écrits de Moeller et Willemart qui ont toujours servi de base pour prouver l’inexistence de ces communautés contestées. Alors que ces mêmes documents de la période coloniale, une fois bien exploités, prouveraient à suffisance que certaines notions ont été mal placées pour de fins politisées. Pour Philbert, c’est fut le moment de dire aux lecteurs de ne pas placer leur confiance en ces écrits coloniaux.

L’objet de cet article est de relever certaines incohérences que présente l’article de Philbert Bilombele. Ces incohérences tendent à se contredire et prouvernt difficilement l’existence de chefferies coutumières « Babembe » en termes de royaumes ayant eu de racines lointaines. Son argument me semble aussi moins convainquant pour réfuter l’existence de chefferies dites Banyamulenge. Cet article croit ne pas revenir sur des positions d’auteurs récents comme Kayamba, Ngbanda, Kikaya…, qui dans la plupart de cas, n’ont fait que répéter cette histoire pour de fins mois objectives. Je ne reviens non plus sur Weis (1959), Willemart (1935) ou Moeller (1936) car les précédents articles sur mon Blog ont discuté longuement leurs positions par rapport à l’histoire de l’établissement et migration. Enfin, l’auteur se réserve d’utiliser d’autres sources à sa disposition sur le cas de « Babembe » et leur établissement dans le territoire de Fizi. L’auteur prend encore du temps pour approfondir d’autres recherches sur ce dossier. Toutefois, il y a plusieurs indications qui tend à confirmer que les premiers occupants de la région dont les « Babembe » actuels se réclament comme étant les premiers occupants seraient de Batwa, Bazoba, Masandje, Babuyu et Babwari. L’histoire n’est pas seulement la force militaire ni discours manipulé.     

Cet article reconnait que les éponymes Banyamulenge tout comme celui de Babembe sont d’origine de construction sociale et peuvent avoir le même poids social (signification). Si le premier n’avait pas connu une confusion[1] telle que l’indiquent certains auteurs dont Weis (1959), Banyamulenge et Babembe signifient simplement et respectivement les gens de Mulenge et les gens de l’Est ou de montagnes.

J’espère que Philbert pourra trouver une autre occasion pour nous convaincre. Dans tout son article, Philbert n’a pas prouvé que les Babembe sont un groupe homogène ayant un ancêtre commun. Par conséquent, ils constitueraient difficilement une tribu ; pour enfin dire qu’ils sont une communauté habitant un territoire dont ils partagent avec plusieurs autres communautés. La notion de collectivités-chefferies et celle de collectivités-secteurs en dit long.    

  1. Les chefferies Banyamulenge

Alors que le titre de son article est « RDC-Fizi : les prétendues chefferies des soi-disant « Banyamulenge » en République Démocratique du Congo : quand les archives établissent la preuve du contraire », son contenu n’insiste que l’existence de « Babembe depuis la période précoloniale. Il n’était pas question de prouver qui avait existé avant la colonisation mais plutôt pourquoi s’approprier une prérogative dont on mérite pas.

Alors que de références existent citant ces chefferies Banyamulenge dans la partie sud du Sud-Kivu don Reyntjens et Marysse (1996 :15)[2] et autres archives coloniales, Philbert présente moins d’éléments si pas aucun qui contestent cette réalité. Les archives qu’ils nous présente tend aussi à prouver que les « Ruandas » existait dans l’ouvrage auquel son article fait référence. Pour preuve, la partie dite Ugoma semble indiquer la notion de Ruandas dont je me réserve de définir leur appartenance. On tend à croire que les peuples de l’actuel Kalemie ou Ngandja sont des Ruandans car une indication de la Lukuga y fait mention.

La carte Hore indique les Ruandas vers Ngandja ou Kalemie

De plus, il ne suffirait pas de dire que le Banyamulenge sont de réfugiés qui ont été accueillis par qui que ce soit et croire de voir toute l’histoire réduite amplement. Dans la même logique, la théorie qui tend à considérer le Banyamulenge qui vivaient au Katanga (l’ancien Shaba) comme de Banyavyura entre aussi dans la logique de nuire. Ils sont tous restés Banyamulenge. Des jeunes de Baraka, Fizi, KIlembwe peuvent se dire de Kinois (pour avoir vécu quelques années à Kinshasa) quand ils sont de retour au village mais cela n’exclut en rien leur appartenance à ce groupe dit Bazoba, « Babembe » ou Babuyu.

Il est aussi moins objectif de ne pas croire aux « petits mémoires d’universités » mais faire allusion avec courage aux propos d’un Général comme James Kabarebe ; qui du reste en parlant de Banya Mont Kigali, ne faisait qu’exprimer ses lacunes fondamentales du Congo. Il est à souligner aussi que des chefferies peuvent avoir existé dans un autre territoire qui n’est pas Kalembelembe ou Fizi actuel. Toutefois, il moins convainquant de citer les noms de chefs reconnus sans indiquer comment ils ont été reconnus mais aussi leurs statuts de chefs de clans dont certains ne se réclament pas de Babembe. Il est aussi vrai que sur la liste de chefs cités par Philbert, certains sont Masanze, Bazoba, Babuyu ou Babwari ; alors que d’autres se disent actuellement appartenir à de clans Babembe n’ayant rien de commun dans leur lignée héréditaire.

En plus de cela, les archives coloniales des années 1937 (Arrêté Numéro 15 du 6 Aout 1937) indiquent clairement que Muhasha (Moasha), Rutambwe (Lutambwe) et Sebasaza (Sebasasa) étaient respectivement de chefs de Rulimba, Kungwe, et Kabungu en territoire de Fizi (Secteur de Tanganika. Avant que les groupements claniques ne soient politisés, ces trois chefs cités ci-haut étaient sur une même liste et au même titre que les chefs Lisasi, Gabwe, Sindano, Kilinda, Ngalula, Kabonga. Muhasha, Rutambwe et Sebasaza sont tous de Banyamulenge dont les archives coloniales mentionnent devant leurs noms qu’ils sont des Baniaruanda. En dehors de cet arrêté, il est aussi probable que d’autres éléments peuvent contredire la position de Philbert. Je me dis que ce dernier a encore du temps de prouver que ces chefferies qui appartenaient au Banyamulenge dans le temps n’ont jamais existé.  

Comme ce débat s’intéresse sur le contenu de l’article de Philbert, il est important de relever certaines incohérences dans l’analyse faite par Philbert. Qui sont les 12 tribus de Tanganyika ?

  1. The Twelve Tribes of Tanganyika

Dans l’ouvrage de Hore (1883)[3], Philbert veut faire croire que le Babembe sont ce peuple se réclama des autochtones du territoire de Fizi. Toutefois, il semble clair que la lecture de Philbert ne tient pas compte de ces « pays » qui constituait cette région qui va de Makobola vers Ngandja.

La carte dans l’article Hore indiquant l’espace Ubemba (cape Bemba) vers Makobola

En relisant clairement la carte dans Hore, il semble que ce territoire connu sous Ubemba couvre la courte distance entre Lweba et Makobola. Donc, on déduirait de sa lecture que le territoire de Babembe se situe simplement entre les deux localités, une distance de moins de 30-40 Kms sur le lac Tanganyika. Le reste, de Makobola vers le sud jusqu’à Ngandja, on y trouve de Msansi (Masanze) de Lweba (Ruwewa) vers Mutambala ; Ukaramba (de Mutambala vers Fizi centre actuel et autour de Nemba) ; ainsi que Ugoma qui occupe la région vers le Katanga actuel. Encore une fois, il est difficile de définir qui sont les Babembe dans les six « pays » : Uzige, Uvira, Ubemba, Msansi, Ukaramba et Ugoma. Peut-être, Philebert pourra apporter plus d’éclaircissements.

Pour de précisions, ces territoires ne définissent pas les ethnies ni les communautés tribales (en lisant Hore). Il est à remarquer que Uzige serait l’actuel Bufuliro (plaine de la Ruzizi et ses environs) et pas l’actuel Bushi. Hore prouve plutôt dans son article que Uzige, bien que soit de l’autre côté de la rivière Ruzizi, sa population est presque semblable de celle de l’Urundi (Burundi actuel). C’est dans ces termes que Hore (1912 : 12) souligne cette similitude entre Urundi et Uzige: « The chief [of Uzige] certainly is powerful and probably nearly independent, but still the natives say, ” it is all Urundi.” Quelqu’un peut lire que Uzige faisait partie du Burundi dans le temps, ce qui contredirait l’assertion que c’est l’actuel Bushi. Toutefois, en parlant de Uzige, Hore ne fait pas mention de Bafuliro ni de Barundi de la Plaine de la Ruzizi.

En plus de cela, Hore (p.13) indique que « The next 50 miles of- coast-line is that of Msansi and Bemba. The latter name, however, I think only applies to a small locality immediately around Cape Bemba, famous for its kaolin, or china clay, and regarded by the natives as a very sacred locality.” Partant de cette affirmation de Hore, Ubemba ne designe que quelques localités autour de cape Bemba et non du pays dit « Ubembe » comme veut nous faire croire Philbert. Par conséquent, si Ubemba est l’ensemble de ces quelques localités ; ceci remet en cause encore une fois cette thèse de l’existence d’une terre ou pays qui s’appelle Ubembe dans Hore.        

  1. Les « Babembe », Emo ya M’bondo ou Bantu

La question principale dans ces débats qui nous endeuillent du jour au lendemain est de se présenter comme extraterrestre si on n’est pas contesté. Dans la plupart de documents écrits, il est difficile de réaliser que le concept « Babembe » désigne une seule communauté (celle qui s’approprie cette prérogative actuellement). Quand ça ne tient pas, on y associe Emo ya Mbondo dont Philbert a oublié de mentionner dans son long discours. L’origine de ces deux concepts (Emo et Babembe) restent floue et personne ne saurait vraiment dire quand est ce que certains clans se sont arrogé ce pouvoir de devenir Babembe plus que les autres. Nulle part dans l’article de Philbert, on nous indique que Ubembe et Babembe veut dire la terre et un ancêtre commun dont les Babungwe, Bashikalangwa, Basimukindje, Basimunyaka, Balala, … sont tous issus et habitent. Donc, la thèse de Moeller comme quoi ces groupements sont des clans dont certains ont rejoint la région un siècle après les autres reste probable. A moins que nos auteurs nous prouvent qu’après 100-150 ans, il est encore facile de savoir les cousins et les oncles alors que vous n’avez pas eu la chance de communiquer. Je vois la notion de migration être complexe.  

Dans le meme ordre d’ideee, il est important de revenir aussi sur Maurry et Aubel. En lisant Maury (1912 : 6)[4] et même Aubel (1930 : c87)[5], le territoire de l’Ubembe n’est pas à confondre avec une tribu ou une communauté. Il s’agit d’une indication d’un territoire situé à l’Ouest du Lac Tanganyika sur une distance longue. Ce territoire avait été et est habité par plusieurs groupes claniques indépendants les uns des autres. C’est dans cette optique que Maury souligne, les Wabembe sont composés de deux catégories : ceux de montagnes et ceux du Lac. Si certains clans sont venus des montagnes, des preuves existent que sur le lac Tanganyika, les premiers occupants (les archives sont claires dans ce sens) sont les Batwa, Bazoba, Masanze, Babuyu et les Babwari. Pour preuve, Philbert recourt à la référence du Journal Lacroix (1887) qui indique que « Ces fiers montagnards, divisés par clans, indépendants les uns des autres, ont construit leurs villages sur les crêtes les plus escarpées. ». Pour ce faire, on peut facilement lire les contradictions de vouloir prouver qu’un groupe dit « Babembe » est homogène alors qu’il est composé des clans indépendants les uns des autres.   

Le débat autour d’identités sont extraordinaires et de fois contradictoires. Il est absurde de voir quelqu’un contredire son voisin qui dit appartenir à une grande famille dit Tutsi Congolais (propos n’engageant que ce même individu) et enfin se présenter comme Bantu. Au fait, si l’un se dit Tutsi et l’autre se dit Bantu, quelle est leur différence en termes de multiples identités ? Philbert et Azarias ont tous deux les multiples identités qui confondent au même degré leurs lecteurs. Je tiens à leur rappeler que nous sommes tous de Bantu.    

  1. Eléments non-évoqués par Philbert ?

Il ya d’éléments que Philbert hésite d’évoquer par calcul ou par manque d’information ; je n’en sais rien. Toutefois, que les Babembe aient été gouvernés par de petits princes, pourquoi est-ce que cette région a été subdivisée en collectivités secteurs et non de chefferies coutumières ? La différence entre ces deux modèles est d’une importance capitale dans la compréhension d’établissement de peuples et des regroupements politiques. Si Philbert conteste, peut-on dire que les informations dans Willemart qui indiquent comment les formations de groupements claniques vers 1922 ont été effectuées par les administrateurs coloniaux et donnant naissance aux groupements politiques sont toutes fausses ? Pourquoi Philbert n’en dit rien sur cet aspect?

Dans le même ordre d’idée, Philbert ne prouve pas que les Babembe vivaient sur ce territoire avant 1650. En lisant son article, je n’ai trouvé nulle part la source qui indique que Moeller et Willemart se seraient trompés pour des fins politiques peut-être. Il ne suffit pas qu’on ait observé une pirogue transporta les esclaves que tout soit clair. Il nous faut d’éléments probants qui indiquent que les Babembe actuels vivaient sur ce territoire avant 1650. Il est important de nous indiquer aussi que ces actuels « Babembe » n’ont jamais trouvé d’autres groupes ethniques sur ces territoires qu’ils occupent actuellement. Si du moins ces efforts de convaincre n’apportent pas ces éléments probants, je trouve qu’on finira par tout remettre en cause et afin dire aux Batwa, Babuyu, Bazoba et Masanze de gérer leurs terres.

 

NTANYOMA R. Delphin

PhD Researcher in Conflict Economics

The Institute of Social Studies/

Erasmus University Rotterdam

Twitter: https://twitter.com/Delphino12

Blog: www.easterncongotribune.com     

 

[1] En dehors de toute forme de contestation extrême, tout auteur qui a lu plusieurs ouvrages sur la partie sud du Sud-Kivu contesterait difficilement qu’un peuple qu’on a dénommé par Banya-Ruandas, Ruandas, Watuzi, Batutsi, Pasteurs d’Itombwe, Tutsi d’Itombwe, Banyaruguru… a tout de même existé avant la période coloniale. Ce peuple à dénominations multiples qui prêtent confusion aujourd’hui ont de faire référence à l’éponyme Banyamulenge qui avait été utilisé dans le temps. Les détails de ce débat ne font pas l’objet de cette discussion.   

[2] Reyntjens, Filip & Stefaan Marysse (1996). « Conflits au Kivu: Antecédents et Enjeux ». Anvers: Centre d’Etudes de la Région de Grands Lacs d’Afrique

[3] Hore, Edward C. (1883) “On the Twelve Tribes of Tanganyika”, The Journal of the Anthropological Institute of Great Britain and Ireland, Vol. 12(1883)

[4] Maury (1912) « Les Régions voisines de la frontière orientale du Congo belge, du Tanganyika au lac Albert, d’après les travaux des missions cartographiques et géodésiques belge. Société Belge des Ingénieurs et des Industriels

[5] Aubel, R. (1930), Annales de la Société Géologique de Belgique, Publication relative au Congo Belge et aux régions voisines, T. 53, 1930, pp. C87-C140

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